Il faudrait peut-être instaurer un revenu universel pour les artistes
Florence Proton se bat contre la précarité des acteur·rice·s culturel·le·s. Membre du comité de Visarte Valais, elle a co-fondé Kartel, un collectif qui fédère les faîtières valaisannes autour de cet enjeu. Elle livre ici son analyse sur un milieu fragilisé par la pandémie de Covid-19
Les milieux culturels ont été les premiers à subir les fermetures. Cette interruption brutale a mis en lumière la précarité des acteur·rice·s culturel·le·s, et donc l’absence de filet social pour un pan de la population. Beaucoup d’entre eux et elles ont été confronté·e·s à des manques de revenus sans possibilités de compensation, car ils et elles n’avaient pas accès aux indemnités chômage. Pour citer un exemple, la plupart des artistes visuel·le·s ont un statut indépendant – ou pas de statut du tout – et travaillent grâce à des subventions liées à une production. Par conséquent, une fois les lieux d’expositions et de présentations fermés, ils et elles se sont retrouvé·e·s sans rien. Mais il faut souligner que les services culturels des cantons et des villes avaient déjà conscience de cela avant la pandémie, et qu’ils ont très vite tiré la sonnette d’alarme quand la crise est survenue.
Les soutiens financiers apportés par les autorités ont-ils été suffisants pour assurer la survie à moyen et à long terme des acteur·rice·s culturel·le·s ?
Les soutiens ont été majoritairement destinés à des bourses de recherche et à des projets de transformation. C’était une manière de donner du travail aux artistes, mais ces soutiens les conditionnaient à une production, ce qui n’était pas le cas dans d’autres secteurs économiques. Par exemple, les restaurateur·rice·s ont obtenu des aides sans visées de production, car ils et elles pouvaient chiffrer leur manque à gagner, ce qui est plus complexe dans le milieu de la création. De plus, les bourses de recherche étaient limitées, ce qui a donné lieu à une forme de concurrence entre artistes. Avec le recul, si une telle crise devait se reproduire un jour, il faudrait penser les soutiens autrement. Peut-être en instaurant un revenu universel pour les artistes.
La pandémie a-t-elle permis de relancer le débat sur le statut d’artiste en Suisse ?
Ce débat évolue très lentement. Estelle Revaz (ndlr : violoncelliste et conseillère nationale socialiste) a beaucoup porté ce combat et lui a donné une visibilité, mais la question a été rapidement balayée et mise sous silence. Les artistes se dédient à la production d’œuvres qui sont léguées à la communauté, il est donc primordial qu’ils et elles puissent vivre dignement de leur travail. On pense à la notion d’intermittence via le chômage, comme en France, mais il existe d’autres solutions explorées dans d’autres pays. Aux Pays-Bas, les artistes reçoivent un « trousseau » de 48 mois de revenu universel sur une période de dix ans. Au Mexique, les artistes visuel·le·s peuvent payer leurs impôts sous forme d’œuvres, qui sont ensuite présentées dans des expositions itinérantes.
La crise a-t-elle conduit les acteur·rice·s culturel·le·s à se fédérer davantage ?
C’est une évidence. La création du collectif Kartel, l’association Les Compagnies Vaudoises ou la faîtière TIGRE sont des conséquences directes de ce besoin de se rassembler pour sortir de la précarité.
La pandémie a-t-elle (re)positionné la culture comme un secteur économique à part entière ?
Oui. La crise a permis de montrer le dynamisme de ce secteur, qui génère un nombre important d’emplois, unfait relayé par plusieurs études récentes. Mais il faut sou- ligner que les producteur·rice·s d’art (artistesvisuel·le·s, comédien·ne·s, musicien·ne·s, etc.) sont les personnes les moins représentées et les moins rémunérées dans ce secteur.
Natacha Rossel, journaliste culturelle