Tartuffe et Trissotin sont de retour
La qualité se loue d’elle-même, dit-on çà et là pour justifier la raréfaction des subventions ou des crédits. Ce n’est pas très flatteur pour les solliciteurs, bêtement moralisateur, et faux. Maxime trop commode, déguisée en sagesse populaire pour feuille de calendrier, d’autant plus suspecte lorsqu’elle est maniée par des castrateurs de budgets. Une simple lecture de l’histoire de l’art et de la culture du passé suffit à démontrer que les œuvres de qualité ont rarement été reconnues rapidement, que le succès n’est pas nécessairement un gage de qualité – ni du contraire d’ailleurs. Car jamais l’art n’a vécu de ses seuls revenus. Des mécènes – aujourd’hui sponsors – des princes éclairés, les Eglises, l’État, plus récemment les loteries, y ont pourvu.
Le niveau et la diversité des expressions artistiques sont des indicateurs du degré de civilisation d’une société. Ils sont le fruit d’un engagement collectif délibéré : l’art, comme la science, comme tout ce qui manifeste les progrès de la civilisation, proviennent de la somme des efforts et non du hasard comme des Trissotin modernes voudraient nous le faire croire dans leur culte superstitieux du Marché. Le marché n’est qu’un régulateur parmi d’autres, souvent aussi un niveleur de qualité ; il ne dispense ni de réfléchir ni de l’effort public et privé pour que vive la culture.
La barbarie commence toujours par s’attaquer à des symboles désignés à la « vindicte populaire » comme manifestations dégénérées, impures, élitaires
Plus insidieuses sont les équations qui mettent l’art en balance avec d’autres besoins vitaux de la société, comme l’AVS, l’assurance chômage, la santé. Au lieu de défendre les statues de Bamian, maugréaient certains, vous feriez mieux de vous occuper du sort des femmes afghanes. Erreur, la préservation des unes va avec la défense des autres : ce sont les mêmes qui détruisent un patrimoine dont ils ne comprennent pas la valeur qui persécutent et mutilent des groupes humains, les femmes en particulier. Prétendre que les moyens alloués à l’art et à la culture sont enlevés aux budgets sociaux est une vieille baudruche. Comme par hasard, ceux qui tiennent ce discours sont ceux qui jugent trop coûteuses les aides sociales – les pauvres pourraient tout de même faire des efforts – et étaient prêts à dilapider dans les poches de privés les bénéfices des loteries voués à l’utilité publique. La culture, la prévoyance, la santé sont au même titre des besoins fondamentaux qui ont tous leur prix, et qu’il faut équilibrer.
La vitalité d’une société, le maintien de sa cohésion, passent par des représentations symboliques, par l’imaginaire. La barbarie commence toujours par s’attaquer à des symboles désignés à la « vindicte populaire » comme manifestations dégénérées, impures, élitaires. On commence par brûler les livres, déboulonner les statues et on finit par exterminer leurs auteurs et ceux pour qui ils signifient quelque chose. Les moustachus de tous poils s’en sont toujours pris à l’art abstrait, à l’imaginaire. Certes, Blocher n’a pas de moustaches. Il les porte à l’intérieur.