Innommable pratique

Numéro 10 – Juin 2006

– Aah… T’es peintre ?
– Euh… oui…
– En bâtiment ?
– Euh non…
– Ah… En carrosserie alors ?
– Ben non…
– ...
– Je suis peintre, artiste peintre… Je fais de la peinture, quoi…
– Aah… D’accord… Et t’en vis ?
– Oui, oui bien sûr… Enfin non bien entendu, mais… C’est-à-dire, si en fait !

Ce qui n’est pas nommé n’est sûrement pas facile à vivre… Alors quoi, le métier d’artiste, est-ce si difficile que ça à avouer, sinon à expliquer ? Peut-être est-ce là que le bât blesse. C’est un métier, dans la nébuleuse des activités qui font le tissu professionnel de la société actuelle, qu’il faut expliquer (sinon expliquer la nature) et dans la foulée jus­tifier l’existence. C’est-à-dire se retrouver illico dans une position que la pratique même du métier, obstinée et quotidienne, nie !

Ou alors sachons expliquer que pour vivre, il faut respirer, ce qui équivaut d’ailleurs à affiner la réponse confuse (forcément) à la question « Ah, et t’en vis ? » : « Ben oui… Parce que si j’en fais pas, je ne vis pas ».

Une alternative ?

Il y aurait bien une alternative : se déclarer artiste. Mais se pro­filer comme peintre, c’est justement dévier soigneusement de la route de ceux qui ont une activité artistique pour être… Artiste ! Être peintre, c’est assumer tant bien que mal sa petite mais fondamentale nécessité, c’est une affaire entre soi et la peinture. Mais oui ! Le cuisinier se façonne bien en se confrontant au goût, l’ambulancier à la douleur et à l’urgence… À chacun son Himalaya.

Et puis, se déclarer artiste, c’est se voir ipso facto plus ou moins assimilé à une horde de postulants à la Starac’, quand ce n’est pas à des spécialistes de « couchers de soleil » au mètre, tendance place du Marché, ou à de futurs premiers rôles dans de non moins futures productions cinématographiques, tendance « Vous allez voir ce que vous allez voir » ! Toutes ces pratiques sont certainement respectables (enfin presque toutes…), mais n’ont guère à voir avec les enjeux que le métier de peintre suppose. Se définir par ce canal paraît donc bien illusoire.

Alors quoi ? Plasticien, voilà qui rime avec contemporain. Autant qu’avec pain, vin ou Boursin d’ailleurs ! En prime, vous vous mettez potentiellement en position délicate selon la frontière que vous souhaitez franchir, pour un peu que l’on vous suppose spécialiste du plastique…

Plasticien, une tentative terminologique

Par ailleurs, pour élégant et ri­goureux qu’il paraisse, ce substantif a quelque chose d’aussiréducteur que snob… Un peintre, un bon, est forcément un plasticien. Persévérer sur cette voie d’une illusoire spécialisation pourrait nous amener à accoucher de colorieurs, voluministes, et si on n’y prend pas garde de bleuistes et autres blanchisseurs – encore que ceux-ci existent probablement déjà – qui refermeront la boucle selon un degré d’incompréhension quant à la question initiale qui ne demandera qu’à se perpétuer gaiement.

Et pourtant, ces « plasticiens » sont fédérés aujourd’hui au sein de l’association Visarte et, malgré leurs différences, se retrouvent dans la pratique d’un métier. Ce métier innommable… Plasticien donc, une tentative terminologique ajoutant à ces pratiques fondatrices qui ont évidemment subi toutes les inévitables mises à jour que l’histoire de l’art impose, celles qui empruntent les canaux des médias de notre temps, ceux de la photo ou de la vidéo bien sûr, mais également les méandres de la toile, les particules du numérique. Une création qui ne cesse de chambouler les codes établis, décontextualisant à qui mieux mieux chaque chose (et son contraire), brouillant les pistes comme jamais… Perturbant encore plus votre interlocuteur, qui à peine remis en selle une fois le premier moment de surprise passé, n’en restera pas là…

« Aah… Artiste peintre… Quel genre de peinture ? »