Coupures de courant

Numéro 11 – Septembre 2006

Une nouvelle nous a secoués juste avant la fin de l’année scolaire précédente : l’an­nonce dans la presse de la disparition pour cause d’économies des cours facultatifs dans les gymnases. Les cours à option de théâtre et de danse seront supprimés au gymnase de Burier, malgré les regrets de la direction, des enseignants et des élèves, pour ne citer qu’un exemple.

Les économies réalisées par ces coupures budgétaires, qui effacent l’initiation artistique de la formation scolaire, plutôt que de la généraliser, ne répondent qu’à un court terme parfaitement improductif. Au lieu d’initier les enfants toujours plus jeunes aux approches artistiques, ce qui en ferait tout naturellement un public formé et averti, en proximité avec la chose artistique, on ne trouve rien de mieux que de couper les voies qui existent. Pour des raisons de rentabilité, qui plus est. Pas assez d’inscriptions pour la danse, exit la danse des cours facultatifs.Il en va de la remise en question de la légitimité même de la demande d’élèves qui s’inscrivent à ces cours. Ce désir est signifi­catif d’un choix, d’une curiosité, d’un besoin de découverte d’une autre dimension, pour étoffer l’approche scolaire. Théâtre et danse, par exemple, portent avec eux une relation à la fois sensible et intellectuelle à soi et aux autres. Cela même qui agit dans une lecture intelligente d’une œuvre littéraire faisant partie du parcours scolaire obligatoire.

Le rouge et le noir

Si, véritablement, l’art et la culture comptent pour notre société, comme on l’entend dans les discours cosmétiques partout et par tous, alors il faut se montrer cohérent dans la manière de défendre les arts dans une politique générale de la société. Donc, de la formation.

La nouvelle fatalité de notre XXIe siècle porte les couleurs du rouge et du noir. Une sorte de jeu quasiment cabalistique – au coût social et humain effrayant – qui met en présence d’innombrables tableaux chiffrés où les noirs affrontent les rouges. C’est un grand classique de la comptabilité. Sauf que tout le monde sait, du porte-monnaie individuel jusqu’à la bourse collective, publique ou privée, que les noirs et les rouges véhiculent des valeurs et présupposent des choix. Notre façon d’économiser dessine un portrait précis et peu flatteur du monde futur que nous construisons et dont les générations à venir vont devoir gérer les conséquences. L’écoute d’une vraie pensée économique, qui ne peut qu’être interdisciplinaire et écologique, nous éviterait peut-être de causer des dommages irrémédiables au tissu social. Pour pouvoir ensuite dépenser beaucoup pour le réparer ou le guérir.

Vive la mémoire vive

En 1998, deux femmes ont créé, dans l’Ouest lausannois, un espace original : le Musée d’art des enfants à Chavannes-près-Renens. Marina Aït-Ahmed, historienne de l’art et Rahma Ben Fadhilah, institutrice, ont réalisé un projet dont l’ampleur et la pertinence restent exemplaires. Elles avaient décidé d’initier les enfants des écoles à l’art en les faisant entrer dans l’univers concret des artistes qui acceptaient de laisser une classe accompagner la création d’une œuvre. De poser des questions, de participer en quelque sorte au processus qui voit évoluer une œuvre d’art. Le public qui a eu le bon goût et la chance de voir le résultat des expositions qui en sont issues, garde le souvenir d’une grande exigence. La rencontre avait autant inspiré les artistes que permis aux enfants de mieux comprendre la naissance d’une œuvre, son environnement concret et le cheminement suivi par les artistes.

Malgré des soutiens – de l’État de Vaud, de la Loterie Romande et d’autres sources – et même un Prix de l’Éveil de la Fondation vaudoise pour la création artistique – ces drôles de dames ont dû raccrocher, gagnées par l’épuisement des individus investis dans des espaces défendus au prix d’efforts démesurés, insoutenables sans une conscience collective et une politique culturelle responsable. Faire se rencontrer le monde de l’art et l’univers des enfants, tel était le rêve réalisé par ce projet. Que d’énergies consumées sans que la société en ait gardé traces et bénéfices pour le patrimoine ! Se souvenir est un devoir politique, social et artistique.