Causerie en mode mineur

Numéro 12 – Novembre 2008

Propos recueillis par Daniel Thomas, Sima Dakkus, Marco Polli et Gérald Morin
Cet entretien s’est déroulé le 19 octobre 2006.
Organisation : Sima Dakkus. Rédaction et mise en forme : Joël Aguet

Manque de reconnaissance et d’aide à la diffusion, maigres revenus… En Suisse romande, même les musiciens confirmés vivent de notes et d’eau fraîche. Pour en discuter, CultureEnJeu a convié :

  • Vincent Salvadé, responsable pour la Suisse romande du service juridique de la Suisa, l’organisme suisse de droit privé qui s’occupe de gérer les droits d’auteurs pour la musique ;
  • Sarclo, auteur, compositeur, interprète, qui a donné son premier concert en 1976 et sorti son premier disque en 1981. Il mène une carrière dans le monde francophone ;
  • François Lindemann, musicien indépendant depuis 1974, pianiste et compositeur. Il a fondé plusieurs groupements de la profession, dont Musique action à Lausanne (le Mal).
Comment un musicien professionnel gagne-t-il sa vie en Suisse romande ?

François Lindemann : – Je pense que n’importe quel musicien de répertoire classique, membre titulaire d’un orchestre professionnel comme l’Orchestre de chambre de Lausanne, gagne 6 000 à 6 500 francs par mois. Ce qui n’empêche pas les musiciens de donner des cours. Disons que pour arriver à gagner normalement sa vie, et faire vivre une famille avec deux enfants, 4 000 francs par mois pour chaque conjoint, c’est vraiment le minimum.

Les autres :
– Oh oui !

F. L. : – Pour y parvenir, un musicien indépendant est, à mon avis, obligé de donner plusieurs heures de cours par semaine. Pour le reste, je vais continuer à être jazzman sur scène, parce que je me sens des affinités avec cette musique-là. Comme avec les musiques du monde, expérience que j’ai acquise en travaillant avec des musiciens thaïlandais, arabes, indiens, mélangés avec mes groupes de jazz. J’ai fait la musique de ballets pour des théâtres contemporains et des troupes d’ici. Pendant trente ans, j’ai composé toutes les musiques des Babibouchettes et aussi celles de divers spectacles romands. À l’intérieur de ces musiques-là, je mets un petit peu de ce que j’aime le mieux. Cela signifie que je ne me nourris pas seulement de la musique que je préfère. Quand je compose, il y a souvent des choses que je découvre et que je peux réutiliser, en les transformant, pour un autre groupe, comme Piano Seven par exemple.

Vincent Salvadé : « Comme ressources, les musiciens ont les concerts, la vente de CD et les droits d’auteur »

Vincent Salvadé : – Comme ressources financières, les musiciens ont leurs concerts, la vente de leurs disques et la diffusion de leurs œuvres par les médias, diffusion pour laquelle ils touchent des droits d’auteur. Il y a peut-être encore d’autres vecteurs. Je ne sais pas quelles sont les proportions de ces trois éléments dans les budgets de chacun, ni si cela leur permet de vivre et de travailler dans la durée.

F. L. :
– En ce qui me concerne, je dépends surtout des concerts et des droits d’auteurs. Le disque ne rapporte pas grand-chose. Il est cher à produire et à l’échelle du marché romand, on ne peut pas espérer en vendre beaucoup plus de 2 500 exemplaires. En revanche, le passage à la radio rapporte un peu en termes de droits d’auteur.

Sarclo :
– Un disque me coûte 50 000 francs. J’en vends 1’000 chez les disquaires, ce qui rapporte, avec les remises, 12’000 francs. J’en vends 1 000 directement, ce qui fait 30’000 francs, puis 500 en souscription, soit 10’000 francs. Donc le disque ne rapporte pas d’argent. On fait un disque pour pouvoir faire une tournée.

François Lindemann : « En Suisse romande, il est difficile de vendre plus de 2’500 exemplaires d’un disque »

Le disque, c’est… une carte de visite ?

S. : – Quelque chose comme ça, ou alors un nouveau calendrier Pirelli, pour dire que l’avenir n’est pas foutu. Pour mes revenus, si le disque ne rapporte pas d’argent, je touche en revanche entre 10’000 et 15’000 francs de la Suisa par année. Cela équivaut à deux mois de salaire pour un professeur de travaux manuels.

F. L. :
– Pareil pour moi.

S. : – Par concert, je touche entre 500 et 1’000 euros. Si je donne une quarantaine de concerts par an, cela revient à environ 30’000 francs en plus. Je ne touche pas ce qui me permettrait de vivre uniquement de ma musique et mes chansons, c’est clair. Je n’enseigne pas, mais je suis un peu architecte et je peux compter sur l’argent de ma famille. Sans cela, je ne pourrais pas produire mes disques à compte d’auteur depuis toujours. J’ai une œuvre qui ne doit pas grand-chose à la société.

F. L. : – En ce qui me concerne, cela fait quand même vingt-trois ans que j’enseigne cinq heures par semaine dans une école de musique et maintenant au Conservatoire. Parce que ça fait vingt-trois ans que je suis marié et que j’ai des enfants. Voilà.

V. S. : – À propos des subsides, je signale l’existence de la fondation culturelle de la Suisa, dont les fonds proviennent de petites retenues sur les droits d’auteurs. Il s’agit de l’argent des artistes. Il leur revient pour de nouveaux projets musicaux : c’est de l’argent réinvesti dans de nouvelles opérations productrices.

Continuons dans cette logique : quels sont vos autres bailleurs de fonds principaux ?

F. L. : – Les Villes, Pro Helvetia…

Et la Loterie romande ?

S. : – Pour obtenir l’aide de la Loterie romande, il faut avoir une association. Un individu privé ne peut pas aller demander des sous.

F. L. :
– Tu peux créer une association avec deux ou trois personnes qui te soutiennent pour défendre la chanson, pour vendre quelque chose. Parmi les soutiens les plus fréquents se trouvent encore, c’est vrai, la Loterie romande et les services culturels de certains cantons. Mais Pro Helvetia nous aide de moins en moins, me semble-t-il. En tout cas, à ses yeux, ce que je fais – Piano Seven notamment – touche un public trop large : la Fondation a l’air de penser que ça suffit pour tout financer. Elle soutient surtout le jazz hyper pointu, lorsqu’il est joué dans un ex-pays socialiste avec douze personnes dans un club ravagé.

S. : – C’est tout à fait Pro Helvetia. Plus généralement, le fait d’être contraint de réclamer pour chaque nouveau projet nous renvoie bien au fait que les musiciens n’ont aucun statut ici. Je suis en train de sortir mon neuvième album d’œuvres originales, plus des compilations ; des enregistrements live, etc. J’ai eu plusieurs reconnaissances internationales, le Prix Brassens, le Prix de l’humour à Saint-Gervais, et le Prix du festival d’été de Québec. J’ai tourné avec Renaud en 1996. J’ai fait 90 fois sa première partie. Et j’ai appelé mon dernier disque À tombeau ouvert, chansons posthumes volume 1, étant donné que j’ai depuis quelque temps l’impression d’être enterré par les médias comme un ringard poussiéreux. D’une part, je ne leur plais pas, d’autre part ils sont ravis d’avoir « découvert » plusieurs jeunes qui font de jolies chansons. Toute une presse lausannoise s’en satisfait et encourage par la même occasion le vieux quatuor Théraulaz-Bühler-Auberson-Sarclo à se ranger du décor. Ce n’est pas une question d’âge d’ailleurs : Simon Gerber n’a pas 30 ans. On a parlé de lui lorsqu’il a eu le Prix nouvelle scène à Yverdon. Ensuite, plus rien, alors que Simon est un artiste qui a une valeur irremplaçable. Il sait tout faire, mais les médias ne semblent pas se rendre compte qu’il est indispensable.

Sarclo : « J’ai une œuvre qui ne doit pas grand-chose à la société »

Est-ce qu’il y a chez les musiciens un côté individualiste ? Est-il envisageable que les musiciens recréent des associations ?

F. L. : – C’est envisageable parce qu’au niveau artistique, il y a relativement peu de clans parmi les musiciens de jazz et la musique improvisée.

Quelles organisations représentent ou défendent les musiciens ?

F. L. : – Musique Action défendait notre musique en 1974 à Lausanne, comme l’AMR – l’Association pour l’encouragement de la musique improvisée – commençait à le faire à Genève. C’était le même genre d’association pour la défense de la musique improvisée, et à Lausanne ça s’est transformé en ONZE+. Au début, nous avions pour but de défendre les musiciens locaux et d’encourager des échanges avec des musiciens étrangers de qualité, américains ou français.
Je remarque aujourd’hui que dans la plupart des festivals de Suisse romande, les gens d’ici sont très déconsidérés, déclassés : ils ont droit à des soirées avec entrées gratuites et sont payés 300 francs plutôt que 3’000 ou 4’000 dollars comme le sont généralement les petites stars étrangères.

S. : – À propos d’organisation, la FCMA, la Fondation pour la chanson et les musiques actuelles, est capable de dire : « Simon Gerber a déjà obtenu un Prix de 5’000 francs, on ne va pas en plus le soutenir pour la première partie d’un spectacle de Sarclo qui se joue 20 fois en Suisse romande. »

François Lindemann : « Il serait utile d’avoir un site qui mette en liaison ceux qui achètent les spectacles et ceux qui les proposent »

Qui finance cette Fondation ?

S. : – Les cantons y mettent un peu d’argent pour se débarrasser de la chanson et de la musique actuelle. Ces gens affirment « soutenir les artistes pour qu’ils puissent jouer à Paris ». Quand on se renseigne sur ce que ça veut dire, ça signifie pour eux « donner 500 francs aux artistes pour les aider le jour de la sortie du disque à Paris ». C’est fabuleux. N’importe quoi d’utile, mais plus la FCMA.

Quel rôle joue l’Association suisse des musiciens ?

F. L. : – Ils essaient de définir un statut, pour qu’on puisse être considérés comme salariés, et donc aussi obtenir une protection de l’assurance chômage et de l’assurance perte de gains. Ils essaient de mettre en place ce genre de choses, ce qui ne m’intéresse pas. J’ai besoin de jouer plus, d’être plus souvent en contact avec le public.

S. : – Voilà ! Pareil pour moi. J’aime être sur scène.

F. L. : – J’ai de l’expérience, cela fait trente ans que je fais des salles, des clubs. C’est incroyable que dans ce pays, on ne puisse pas avoir une espèce de centrale qui nous dise : pour tel profil de musique, pour tel profil de production, là c’est 200 places, là c’est 2 000, là, ça se loue, là il y a une programmation qui achète les spectacles comme à l’Octogone ou à Beausobre. Plutôt qu’une organisation qui ne sert qu’elle-même sans penser aux musiciens, il serait utile d’avoir un site qui mette en liaison ceux qui achètent les spectacles et ceux qui les proposent. Le spectacle d’un chansonnier peut rester dans un cabaret deux ou trois semaines. Le jazz n’a quasiment toujours été programmé que pour un soir, en tout cas depuis vingt-cinq ans.

V. S. :
– C’est une question de public disponible. Un opéra, c’est une semaine, le théâtre, c’est deux semaines, un grand concert de jazz, c’est un jour.

Nous essayons de comprendre les spécifi­cités de chaque art, pour comparer les réussites de chacun des domaines, les idées que les diffé­rents arts ont eues pour avancer…

S. : – La musique a ceci de particulier qu’elle est utilisée par la radio. Le fait que les petits chanteurs déboulent maintenant et se montrent disponibles, c’est très bien, ça renouvelle le terreau. En revanche, je reste perplexe lorsque la radio organise des sessions « labels suisses ». La radio était très heureuse d’offrir un micro et des minutes d’antenne à des artistes prêts à jouer gratuitement. Et de leur côté, les musiciens sont contents de le faire parce qu’ils sont depuis peu sur le marché et qu’ils estiment qu’on leur offre une promo sympa. Ils ne se rendent pas compte que dans trois ans, ils auront peut-être envie de gagner leur croûte, et qu’on trouvera toujours des petits jeunes pour « débuter » gratuitement avant de se faire jeter avec une régularité exemplaire.

François Lindemann : « À la radio, nous gagnons moins qu’il y a trente ans, alors que nous faisons le même boulot »

F. L. : – Il faudrait insister sur la position de l’artiste, qu’il soit musicien ou chanteur, vis-à-vis de l’institution. À la radio, nous offrons la matière première de beaucoup d’émissions. Il y a une trentaine d’années, lorsqu’on nous demandait d’aller parler tous les deux de notre musique au micro, on recevait 120 francs chacun. Aujourd’hui, on considère notre venue comme une démarche promotionnelle.

S. : – Oui.

F. L. :
– On venait parler de notre musique. Ensuite, quand on enregistrait, on recevait 300 francs chacun. Il y a trente ans, cela représentait une certaine somme, et on repartait avec la bande qu’il était encore possible de faire graver. Depuis cette époque, il y a toujours des secrétaires, des chefs de productions, des attachés de presse, des techniciens du son, des directeurs de radio qui ont tous vu augmenter leur salaire en fonction du niveau de vie. Nous, en revanche, nous gagnons moins qu’il y a trente ans, alors que nous faisons toujours le même boulot : assurer la matière première de ces émissions musicales. C’est tout de même énorme ! J’ai beau dire aux jeunes : « N’allez pas dans cet endroit parce qu’ils paient 50 francs et puis il n’y a jamais de suite. » Après la première année un peu promotionnelle, une fois qu’on a un petit peu de bouteille, deux ou trois disques, quelques concerts, on peut remplir les salles. Il ne s’agit plus de brader ça, c’est un marché. Je veux dire clairement qu’au moment où on joue, il ne s’agit pas d’être commercial… En revanche, avant et après, il le faut, simplement pour vivre professionnellement. Moi j’ai toujours considéré mon travail comme ça.
Quand on a monté Musique action Lau­sanne en 1974, j’ai dit aux musiciens que le Festival de la Cité mettait à disposition un espace pour le jazz, du style « place du jazz moderne et théâtre ». Pour le théâtre, Martine Paschoud a reçu 10 000 francs pour faire une mise en scène. Alors, j’ai dit aux musiciens qu’on ne pouvait plus accepter d’être payés avec des bons pour une boisson et un repas. On s’est mis d’accord pour demander un tarif minimum de 150 francs par musicien pour les clubs. Et puis, à l’époque, le président du Festival de la Cité, Jean-Claude Rochat, m’a demandé un programme avec tel jour, tel groupe et telle heure. Je lui ai dit : « Non, si tu ne m’obtiens pas autre chose que des bons de repas et des coups de blancs, ça n’ira pas : nous voulons 150 francs. » Il a répondu : « Ah c’est nouveau. Je te donne pas d’argent, il n’y aura pas de programme. Par contre, tu peux avoir la place et ceux qui viennent y jouer, ils y jouent s’ils veulent. » J’ai fait le tour de tous les musiciens du coin et quand je suis rentré de vacances, j’ai croisé Rochat sur le Grand-Pont. Il m’a engueulé : « Il n’y a pas eu un seul musicien de jazz moderne sur la place : le piano est resté sous la bâche avec la corde autour. Personne n’est venu. » Et l’année suivante, on a obtenu 150 francs chacun.

Que pensez-vous des Fêtes de la musique qui reprennent ce principe de gratuité ?

S. : – Si j’avais un problème de carrosserie, j’aimerais bien avoir une journée des carrossiers. Tout gratos, moi je dis que ça serait bien.

F. L. : – Jouer gratuitement mène à la non-reconnaissance du travail.

S. : – Quand Richard Desjardins donne des concerts à l’œil pour une raison x ou y, il dit : « Mes concerts coûtent 6’000 dollars. Je vous fais parvenir la fiche technique. Je veux ceci et cela, et si mon concert s’est bien passé, je vous file un chèque de 6’000 dollars. » Dans ce cas, les choses ont une valeur, c’est un échange qui est plausible. Mais pour la Fête de la musique, il n’y a pas de raison. Il s’agit simplement de faire de la musique. Moi, c’est mon métier de faire de la musique, 364 jours par an plus un. Que ceux qui sortent de leurs locaux de répétition viennent faire leur sol, do, ré au bord du trottoir, cela ne me gêne en rien.
François ou moi faisons aboutir un travail qui est un travail difficile, un travail de création exigeant. Et cette exigence, elle a un prix. La chanson française est un truc utile. Elle suscite des émotions fertiles et du bonheur. On est des pourvoyeurs de satisfaction intérieure. Un mauvais disque, ça se jette. Un bon apporte beaucoup de plaisir et de belles émotions.

V. S. : – Pour la Fête de la musique, en ce qui concerne les droits d’auteurs, nous n’avons jamais accepté la gratuité. On a toujours demandé un paiement, mais les droits d’auteurs sont calculés sur la base des recettes et subsidiairement des frais investis pour les concerts. Naturellement, ces grandes bastringues gratuites n’offrent pas beaucoup de bases de calculs pour percevoir des droits d’auteurs.

S. : – Vous pourriez les percevoir sur les frais annexes, les salaires de ceux qui montent les scènes, des techniciens, qui eux ne travaillent pas gratuitement…

Sarclo : « La chanson française est un truc utile, qui suscite des émotions fertiles et du bonheur »

V. S. : – Si les concerts sont gratuits, le principe c’est de percevoir les droits d’auteurs sur les frais artistiques, c’est-à-dire les frais de scène, les frais de sonos, les cachets, les dédommagements versés aux artistes pour les repas, l’hôtel, le déplacement, etc. Ce sont les seuls frais reconnus d’après la jurisprudence de la commission arbitrale fédérale chargée d’approuver nos tarifs. J’aimerais aussi rappeler que le droit d’auteur est important dans le budget de musiciens comme Sarclo ou Lindemann. Le diminuer fortement conduirait à des situations invivables. Il faut donc surveiller la préparation de la loi sur le droit d’auteur, actuellement en révision, parce qu’il y a des tentatives de diminuer les bases de calculs. Les milieux qui sont redevables de droits d’auteurs – comme la Fédération des usagers des droits d’auteurs qui regroupe en fait toutes les personnes qui paient les droits d’auteurs – voudraient payer moins. Ces milieux aimeraient faire passer le principe que pour calculer la redevance des droits d’auteur, il faudrait tenir compte de ce qu’ils appellent l’utilisation effective, c’est-à-dire l’audience. Un exemple : pour un concert où la salle est à moitié pleine, ces milieux voudraient réduire de moitié la redevance sous prétexte que la salle était à moitié pleine. Sauf que le calcul est déjà établi sur les recettes d’entrées, c’est-à-dire sur la moitié de la salle !

Qu’en est-il des quotas ?

V. S. : – Nous avons eu des discussions avec la SSR, concrétisées par une « Charte de la musique suisse ». Il y a eu des promesses des radios suisses publiques de faire monter le taux de musique suisse dans leurs programmes. Il me semble qu’il y a eu de réels progrès. Les radios ont une peur bleue d’une réglementation légale des quotas. Les quotas sont évidemment une sauvegarde…

S. : – Justement, au Québec, cela profite énormément aux Québécois, et en France, aux Français. Que représente un disque de Sarclo, c’est-à-dire une production suisse de chanson française, pour un programmateur de radio française ? J’ignore si je suis en dehors de l’assiette de programmation à cause des quotas, mais je sais que pour les chanteurs français, il y a eu d’énormes progrès grâce à cette mesure.

Quid de l’idée de créer une sorte de centrale d’information sur la musique ?

F. L. : – Si je peux formuler cela en termes de demande, il s’agirait de constituer une base de données consultable sur les lieux : leur profil, leurs caractéristiques, leur descriptif, ce afin de pouvoir effectuer à la fois le travail d’artiste et le travail administratif. J’ai toujours fait ça moi-même. Alors quand je demande à quelqu’un : « Veux-tu t’occuper de Piano Seven ? Les concerts en général c’est 35’000 francs, donc si tu prends 10% ou 15%, tu vois ce que ça peut te rapporter. » Parfois, j’ai en plus 50’000 ou 100’000 francs de rentrées de la Loterie romande, tout ça pour faire des créations. Je peux dégager aussi de l’argent pour trouver un secrétaire, un agent qui fasse un petit peu de business au téléphone, des courriers, etc. J’ai donc proposé à des agents de spectacle de s’en occuper, mais je restais pour eux dans un créneau très particulier. Je leur ai dit : « Je mets 10’000 francs d’entrée et, en plus, tu peux prendre un pourcentage. Moi-même, tout seul, je peux trouver sur l’année dix concerts à 35’000 mille francs chacun, mais je suis fatigué. Est-ce que tu veux le faire ? » Ils m’ont répondu : « Non, on ne parviendra pas à faire aussi bien que toi, parce que tu fais ça depuis trente ans. »

La proposi­tion d’ouvrir des résidences aux musiciens paraît intéressante…

S. : – La résidence est quelque chose de génial au sens où, à la place d’être payé juste le jour où tu vas jouer sur scène, tu es pris en compte sur tout un temps de préparation du spectacle. Plusieurs scènes nationales françaises proposent maintenant des résidences en chanson et c’est toujours une belle opportunité tout d’un coup de se retrouver avec un spectacle qui marche. C’est vrai que quand on travaille tout seul dans sa cave et qu’on doit faire d’autres boulots pour aller à la Migros, on n’est pas prêt le jour du spectacle.»
Il faudrait organiser une aide à la distribution, par exemple, offrir une avance sur recettes pour les disques plausibles ou fournir une aide à la mise en place de la distribution et ne pas tout laisser à la charge des artistes.