Conservatoire de Neuchâtel – Bras de fer pour une survie

Numéro 12 – Novembre 2008

Depuis plus d’une année, un bras de fer musclé engage les citoyens neuchâtelois et leur gouvernement pour la survie du Conservatoire, ou plus exactement de sa filière de formation professionnelle. Pétitions, manifestations et trois votes-sanctions du Grand Conseil ont fini par faire fléchir l’Exécutif, qui vient d’annoncer la nomination d’un nouveau directeur, René Michon, après plusieurs mois d’intérim. Mais la partie n’est pas gagnée.

Le 26 septembre 2005, le Conseil d’État, à majorité de gauche, annonçait son intention de supprimer abruptement la filière de formation professionnelle du Conservatoire de musique de Neuchâtel. Une volte-face étonnante, alors que des démarches étaient en cours depuis cinq ans pour permettre à l’institution d’obtenir une place au sein de la Haute école de musique de Suisse romande (HEM), le « domaine musique » de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). En décembre 2005 pourtant, le Grand Conseil neuchâtelois signifiait clairement à l’Exécutif son désir de poursuivre la conversion de la section professionnelle du Conservatoire au système HES.

Le Conseil d’État a usé de tous les artifices pour retarder le dossier

Qu’en est-il dix mois plus tard ? Force est de constater que le Conseil d’État a usé de tous les artifices en son pouvoir pour empêcher l’école de terminer la mue qui lui permettrait de présenter sa demande d’accréditation HES le 1er janvier 2007, de concert avec les autres membres de la HEM romande, les Conservatoires de Genève, Lausanne et Fribourg. « La mue était presque accomplie en septembre 2005, explique René Michon, chargé de mandat et nouveau directeur. Les plans d’études étaient conformes aux standards HES depuis trois ans. Il ne nous restait plus qu’à accomplir notre mise à jour administrative, à modifier notre structure de direction et à transformer notre parc informatique. »

Retard forcé

Des actes qui demandent l’aval de l’Exécutif cantonal. La conseillère d’État Sylvie Perrinjaquet n’a pas manqué d’user de son pouvoir pour retarder au maximum le projet. « Tout a été bloqué administrativement jusqu’au mois d’août », un temps durant lequel le Grand Conseil a dû rappeler par deux fois ses desiderata à la cheffe de la Formation et de la Culture… De leur côté, les étudiants et les professeurs de l’école ont lancé un mouvement citoyen, baptisé À Demain (Action pour la défense de la musique, des arts et de l’identité neuchâteloise), qui est descendu plusieurs fois dans la rue. Dernière manifestation en date, les musiciens ont donné des concerts dans les rues de Neuchâtel durant la session du Grand Conseil de juin, une session qui a vu le Législatif décider par 59 voix contre 45 de mener à bien la demande d’accréditation.

Il a fallu encore quatre mois au Conseil d’État pour annoncer la nomination, le 31 octobre, des nouveaux directeurs du Conservatoire, René Michon pour la filière professionnelle et François Hotz pour l’école de musique, confirmant les deux hommes dans des fonctions dont ils assuraient déjà une partie des responsabilités. Ils entreront en fonction le 1er janvier, juste à temps pour être en règle avec la demande d’accréditation. Reste à accomplir « le travail de douze mois en quatre », explique René Michon, afin que la filière professionnelle se mette au diapason HES. « Je reste optimiste, mais ce n’est pas gagné. »

Identité en danger

Dans la bouche de ceux qui dédient leur existence à la musique en terre neuchâteloise, la disparition de la formation musicale professionnelle serait une atteinte à l’identité et à la vie de la région. Le rôle d’un Conservatoire n’est-il pas de « conserver » et transmettre la tradition musicale du lieu ? Pour eux, trancher dans l’enseignement et la pratique musicale de haut niveau, c’est un peu comme se couper un pied… Mais au vu de l’état des finances cantonales, la suppression des classes professionnelles du Conservatoire apparaît comme un moindre mal (170 élèves) à un Conseil d’État qui vise des économies structurelles. L’enseignement de la musique pour les amateurs serait sauf (2’150 élèves). Les étudiants professionnels n’auraient qu’à se déplacer à Lausanne, Fribourg ou Genève.

La suppression de la filière pro remettrait en cause l’existence de certaines manifestations culturelles

En dehors de la discrimination envers les familles trop pauvres pour financer des études à l’extérieur et des pertes d’emploi pour les musiciens (29 postes d’enseignants), la suppression des classes professionnelles participerait de l’appauvrissement global du canton de Neuchâtel : des études démontrent le lien fort entre l’offre culturelle d’une région et son attractivité économique. Les professeurs du Conservatoire – qui ne peuvent pas s’exprimer nommément, le Conseil d’État leur ayant rappelé leur devoir de réserve – soutiennent cette hypothèse. « Si nous ne formons plus de musiciens professionnels chez nous, nous allons créer un vide culturel. Cas échéant, le canton n’a et n’aura pas les moyens de remplacer la culture musicale autochtone, peu coûteuse, par une culture importée, infiniment plus chère. »

Sans le creuset de musiciens qu’offre la filière musicale professionnelle, on ne donnera pas cher de manifestations telles que les festivals des Jardins musicaux, à Cernier, et des Amplitudes, à La Chaux-de-Fonds. De même, l’existence d’orchestres professionnels tels que l’Orchestre de chambre de Neuchâtel et le Nouvel ensemble contemporain, qui offrent tous deux une saison de concerts, sera remise en question.