Édito n°14, mai 2007 – L’amère vérité romande

Numéro 14 – Juin 2007

Si la Migros est « quasiment un service public »[1], il n’y a plus de souci à se faire pour les loteries… J’ignore si Migros parviendra avec cet argument à convaincre la Commission de la concurrence de la laisser avaler Denner, mais je sais que Swisslos a encore du pain sur la planche pour se faire respecter en Suisse alémanique comme service public. Tout autant menacée que sa « grande » petite sœur romande par l’offensive fédérale contre les loteries électroniques, Swisslos a pourtant des atouts dans sa manche. Rien moins que le sport professionnel helvétique, qui découvre que son partenaire le plus fair-play, ce sont les amateurs du grattage !

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Illustration © 2007, Bruno Racalbuto

Mais il serait très faux que la culture se repose sur l’argent des loteries pour résoudre ses crises de financement à répétition. En Valais, des initiatives novatrices sont en cours, mais se heurtent encore aux barrages d’une « cité » valaisanne étirée au fil du Rhône (lire l’article de Gérald Morin).

Le centre de décision unique fait instinctivement peur. Mais les « vieux de la vieille » savent qu’un trop grand éparpillement favorise le copinage sur jambe de bois. Pourtant, aucun canton ne peut se défausser de ses tâches culturelles – fût-il, comme à Genève, doté de moyens paradoxalement inférieurs à ceux de la Ville (lire l’article de Marco Polli). Alors ? Quel est le bon étage ? Finalement, sur le long terme, on s’aperçoit que le nombre de centres est moins important que les montants et la constance d’une politique de soutien. L’histoire de la culture à Zurich (lire l’article d’Anne Cuneo) révèle comment la persévérance et des budgets adéquats ont permis l’émergence d’une vie culturelle devenue une référence internationale. En retour, toute la cité en bénéficie.

La Romandie n’est pas moins grande que la région zurichoise. Et c’est à cette échelle que se résoudront ses crises perpétuelles. Je sais que c’est une vérité qu’on ne me pardonne pas volontiers de répéter. Le récent accord des libraires montre pourtant qu’il est possible d’unifier une branche autour de ses intérêts au niveau national. Mais si l’on veut réussir une politique du livre qui n’oublie pas de soutenir activement les écrivains et les éditeurs romands ; si l’on veut un soutien aux troupes de théâtre qui favorise leurs tournées ; et de même pour les divers domaines de la musique et de la danse, alors il n’y a qu’un pas à faire : réunir les artistes, les producteurs et les décideurs institutionnels pour une mise en commun en Suisse romande de la plus grande part du financement de la création et de la promotion culturelles !

Tout cela sera modulé selon un « découpage » propre à chacun des arts, et permettra d’alimenter des centres de décision répartis sur deux étages : l’échelon de la région citadine pour la relève et la proximité, l’échelon cantonal et romand pour les projets professionnels de moyenne et grande envergure. Le financement de la création à une échelle strictement communale et sans consulter les artistes ? Sans avenir.


[#1] Selon son directeur Claude Hauser en mal d’arguments pour faire passer la pilule au moment d’avaler Denner, L’Hebdo, 3 mai 2007.