Zurich, qualité de vie – et de culture

Numéro 14 – Juin 2007

S’il fait bon vivre à Zurich, c’est aussi grâce à la richesse de son offre culturelle. Centre de l’édition européenne sous la Réforme, ville refuge de nombreux artistes allemands durant la Seconde Guerre mondiale, la ville a développé une politique culturelle ambitieuse. Aujourd’hui, Zurich soutient la culture à hauteur de quelque 400 millions de francs annuels, ce qui permet un foisonnement d’initiatives dans tous les domaines. Reste à convaincre les jeunes artistes zurichois de ne pas s’expatrier…

Pour la deuxième année consécutive, Zurich gagne la palme de la ville du monde où la qualité de vie est la meilleure.C’est là le résultat d’une enquête faite par Mercer Human Resources Consulting, une entreprise qui s’est spécialisée dans l’information sur les ressources disponibles dans un cadre donné. Une fois par année, elle établit une sorte de palmarès des villes par rapport à la qualité de vie.

Ces analyses sont faites tout d’abord pour mesurer les risques encourus par des investisseurs potentiels, sans aucun doute, mais elles fournissent néanmoins des résultats intéressants aussi pour d’autres champs d’investigation.

Cette année, nous l’avons dit, Zurich sortait en tête, talonnée par Genève ; on trouvait aussi Berne en neuvième place assez loin devant de grandes capitales telles New York, Londres ou Paris. La dernière de la liste était Bagdad.

Critère Culture

Si ce classement nous intéresse ici, c’est par rapport aux critères choisis. En effet, l’analyse se base sur dix catégories de critères, chacune d’elles comprenant plusieurs sous-catégories. La catégorie Environnement social et politique inclut par exemple le genre de gouvernement, la criminalité, l’application de la loi, etc. Il y a une catégorie santé (services médicaux et hospitaliers, pollution de l’air, traitement des déchets, etc.). Ce qui est plus intéressant, c’est que trois des dix domaines d’expertise émargent à la culture :

  • Environnement socio-culturel (système politique, liberté de parole, ouverture aux autres, etc.) ;
  • École et éducation (qualité et variété de l’enseignement, possibilités d’expériences pratiques, etc.) ;
  • « Récréation », terme qui recouvre les arts en général, les lieux où ils se pratiquent (théâtres, cinémas, cabarets, musées, etc.), ainsi que tout ce qui forme les loisirs – sport, lieux publics, parcs, etc.

En quoi la culture touche-t-elle la qualité de vie ? Et quelle peut être la spécificité de Zurich à cet égard ? Plusieurs facteurs contribuent en fait au rayonnement culturel de Zurich.

Sous la Réforme, Zurich était, avec Bâle et Strasbourg, l’un des centres de l’édition européenne non soumise à l’Index de Rome. Cela a créé un terreau

Un phare culturel

Il y a, non négligeable, le facteur historique. Sans remonter trop loin dans le temps, rappelons que Zurich a été la première ville souveraine à embrasser la Réforme, ce qui représentait une sorte de révolution à la fois culturelle et économique, la Réforme donnant à la bourgeoisie une liberté de commercer, mal vue par l’église de Rome, qui allait de pair avec la conscience individuelle qui favorisait le développement de la personnalité, et l’expression artistique au sens moderne du terme. Zurich était, avec Bâle et Strasbourg, un des centres de l’édition européenne (en latin et en allemand) non soumise à l’Index de Rome. Cela a créé un terreau, une tradition.

Ce sont cependant la Première, et surtout la Seconde Guerre mondiale qui ont contribué à faire de Zurich la ville de culture que nous connaissons actuellement : entre 1933 et 1945, la Suisse alémanique offrait les seules possibilités d’expression culturelle en allemand échappant à la censure du nazisme. Elle a été un véritable phare dans la nuit (l’expression est du metteur en scène autrichien Léopold Lindtberg qui y était réfugié). L’afflux d’artistes a été massif et des institutions de province comme le Schauspielhaus, l’Opéra ou le Kunsthaus ont été transformées en grandes maisons qui jouissent aujourd’hui encore du statut international qu’elles ont acquis alors.

Le facteur politique

Vers la fin des années 1970, la crise sur le plan politico-culturel a été aiguë : toute une jeunesse se sentait exclue de la vie culturelle, et l’a fait savoir. Je ne reviens pas sur les vicissitudes de la révolte jeune d’alors, sinon pour dire que, en dépit de la surdité et de la répression initiales, Ville et canton en ont tiré des conséquences qui portent aujourd’hui leurs fruits. Zurich a mis en place un modèle de financement de la culture très efficace, qui permet à la ville (avec l’aide du canton et d’un certain nombre de privés) d’allouer à l’activité culturelle au sens large près de 400 millions de francs et qui a permis une véritable floraison d’initiatives dans tous les domaines : danse, chant, théâtre, arts plastiques.

Ce n’est pas que les artistes s’enrichissent à Zurich, mais ils trouvent un terrain favorable à leurs activités, ils sont nombreux ; et – fruit d’une longue tradition – Zurich n’est pas fermée sur elle-même. Les artistes viennent de tout le domaine germanophone lorsqu’il s’agit d’arts de la parole, et du monde entier pour les arts plastiques, le chant ou la danse. Les Zurichois ont encore manifesté il y a peu combien ils sont conscients des avantages que cette situation leur procure en votant un crédit substantiel pour le cinéma, et ici on peut sans doute parler de capitale suisse : pour le cinéma, il y a à Zurich une infrastructure que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Suisse.

Pour le cinéma, il y a à Zurich une infrastructure que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Suisse

Le facteur géographico-environnemental

Si l’on tend un micro à des étrangers qui passent quelque temps à Zurich et qu’on leur demande s’ils aiment y vivre, la réponse est généralement favorable. Et lorsqu’on s’enquiert du pourquoi, l’explication est quasi unanime : Zurich a tous les avantages d’une grande ville sans en avoir les inconvénients. La qualité de l’air est sans comparaison avec celle de capitales comme New York ou Milan ; la circulation automobile est dense, mais en ville, elle n’est pas obsédante. Les transports publics permettent d’aller partout en relativement peu de temps. Depuis Zurich on atteint facilement (et vite, même en train) les grandes capitales européennes. Et Zurich est ouverte au monde dans tous les domaines.

C’est peut-être pour cette raison que l’offre culturelle zurichoise est vertigineuse : parce qu’on y vient facilement du monde entier, parce que la dynamique multiplie l’offre, et parce que les grandes institutions culturelles (opéra, théâtres, musées, écoles d’art) savent attirer un public intéressé. Quant au cinéma, Zurich est une ville où depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on voit souvent les films en primeur, en version originale, et depuis quelques années, il s’y produit de nouveau, comme ce fut le cas jusqu’à la fin de années 1970, de grands films de fiction.

Trop propre ?

Dans leur étude, les experts de Mercer Human Resources Consulting mettent en garde : il y a une différence entre quality of living (la qualité de vie qu’ils ont tenté de mesurer par des critères objectifs) et quality of life (une ville où il fait bon vivre, une chose qui est, par définition, non mesurable objectivement). Ils constatent que les gens préfèrent parfois une vie un peu plus « épicée » (c’est leur terme) à une haute qualité de vie, et qu’ils choisissent Paris ou Londres en dépit d’un inconfort accru (et d’une moindre qualité de vie).

Certains, et surtout les Zurichois, considèrent que de ce point de vue-là, Zurich manque un peu d’attrait : trop gentil, trop propre, trop bien rangé – et beaucoup d’artistes en herbe partent vers des horizons lointains, de ceux qui sont assez bas sur la liste pour ce qui est de la qualité de vie. Certains voient même là un danger : cette méconnaissance des avantages de Zurich par des jeunes Zurichois pourrait, à la longue, stériliser l’expression culturelle propre de la ville, qui aurait certes les moyens d’acheter des manifestations dans le monde entier, mais ne saurait plus générer une culture propre.

Si cela est vrai, il faut espérer que Zurich, qui est et restera sans doute encore longtemps la plus grande ville de Suisse, et à ce titre donne le ton dans le pays entier, saura garder ses talents, en leur offrant la possibilité d’expériences suffisamment variées pour continuer à créer un foisonnement culturel inconnu ailleurs en Suisse.

Le cadre, aussi bien culturel que légal, l’accueil et la reconnaissance des talents, l’aide financière d’activités qui ne peuvent dépendre du seul rendement quantitatif, seront des facteurs décisifs pour que Zurich ne se contente pas d’offrir de la qualité de vie (qui, on l’a vu, dépend d’ailleurs aussi des prestations culturelles). Pour qu’elle reste en tête des classements, il est nécessaire que Zurich soit un lieu où, pour les artistes aussi, il fait bon vivre – et travailler.

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