La culture ? La Confédération s’en lave les mains

Numéro 15 – Septembre 2007

Ce texte est paru dans Le Temps du 7 juin 2007

Avec sa kyrielle de lois en cours de réforme ou d’élaboration, l’année 2007 aurait dû voir émerger une vraie politique culturelle nationale. Hélas, après des mois d’atermoiements, le ministre Pascal Couchepin livre une loi sur l’encouragement à la culture (LEC) vidée de sa substance, qui décharge Berne de ses responsabilités au nom du sacro-saint principe de subsidiarité.

Il fut un temps, pas si lointain, où un artiste s’exclamait, sur fond noir financé par l’État, que « la Suisse n’existe pas ». Il fut un temps, très récemment, où un autre créateur scotchait la Suisse à ses contradictions et la démocratie à ses (tristes) représentants. Et puis il est un temps où il faut faire des choses sérieuses, le moment où l’on crée une loi. Dans ce domaine, l’artiste politique qu’est Pascal Couchepin n’est pas en reste des créateurs qu’il ne subventionnera plus. Il réussit même un exploit : rédiger une loi qui fixe ce qu’il n’y aura plus besoin de faire.

L’année 2007 devait pourtant être placée sous le signe d’un réveil de la politique culturelle. Loi sur l’encouragement à la culture, loi sur Pro Helvetia, loi sur le Musée national suisse, loi sur les langues. Une cascade de réformes législatives qui aurait dû permettre à la Confédération d’imprimer de nouvelles dynamiques, de faire naître de prometteuses collaborations entre tous les acteurs de la vie culturelle suisse (cantons, communes, partenaires privés) et, qui sait, de favoriser l’émergence d’une vraie volonté politique.

Une piteuse production

Las. Après des mois d’atermoiements, le département de Pascal Couchepin accouche d’une bien piteuse production. La loi sur l’encouragement à la culture (LEC), attendue depuis 2000, date de l’introduction de l’article 69 de la Constitution fédérale, ne répond pas, et de loin, aux attentes et aux espoirs qu’elle a suscités. Pire. Entre le premier projet présenté en consultation en automne 2006 et la version finale qui doit encore être débattue aux Chambres, la loi sur l’encouragement à la culture a encore subi une drastique cure d’amaigrissement. En résumé, la loi fixe un principe central : tout est question de subsidiarité. Une subsidiarité qui consiste pour l’Office fédéral de la culture à se décharger de ses responsabilités.

Dans cette loi, il y a ce que le Conseil fédéral décide de ne plus faire et ce qu’il décide de ne pas faire !

Cantons, communes, acteurs de la vie culturelle se sont montrés favorables, lors de la consultation, à la création d’institutions phares d’intérêt national ? Impossible, répond l’OFC au nom de la « précarité des ressources » et du « principe de subsidiarité ».

La Confédération devrait consolider son soutien à la production culturelle ? La loi inscrit désormais la subsidiarité comme un synonyme d’inactivité, puisque seuls les cantons et les communes y pourvoiront. À ces derniers de compenser l’abandon du financement confédéral car, comme le reconnaît avec une innocente franchise le message du Conseil fédéral, « l’abandon dans la LEC du subventionnement des œuvres pourrait entraîner des dépenses supplémentaires pour les cantons, les villes et les communes, pour autant qu’elles compensent les disparitions des modestes subventions fédérales, ce qui serait en soi souhaitable ».

Ambitions oubliées

Quant aux ambitieuses propositions publiques de Pascal Couchepin qui souhaitait améliorer l’accès à la culture, introduire un passeport culturel, favoriser une politique des prix attractive, elles ont manifestement passé à la trappe. « La promotion des biens culturels est l’affaire des institutions. » Circulez, il n’y a rien à voir. À ce titre, c’est bientôt l’Office fédéral de la culture qui risque d’être subsidiarisé…

Étrange phénomène que de fixer dans la loi son champ d’incompétence…

Dans cette loi, il y a donc ce que le Conseil fédéral décide de ne plus faire et ce qu’il décide de ne pas faire. Rien sur la sécurité sociale des artistes, profession pourtant menacée par la précarité. Rien sur le prix réglementé du livre, alors qu’une loi-cadre aurait pu pourtant esquisser solutions et principes. Presque rien sur le désenchevêtrement des tâches entre l’Office fédéral de la culture, Pro Helvetia et Présence suisse, alors que le Parlement en avait fait une exigence prioritaire.

Découragement

Avec un tel projet, la Confédération se dégage de ses responsabilités par le haut – Pro Helvetia – et démissionne par le bas – les cantons et les communes sont responsables de financer les projets artistiques. Étrange phénomène tout de même que de fixer dans la loi son champ d’incompétence.

Étrange signal aussi adressé au monde culturel, aux cantons et aux communes, qui consiste à exonérer le gouvernement fédéral de toute responsabilité politique en matière d’encouragement culturel. Cette loi sur l’encouragement de la culture est en réalité une loi de découragement à créer. Résultat, le dispositif législatif consacre une politique culturelle moins ambitieuse, moins généreuse que ce qui prévaut actuellement. En l’état, la loi sur l’encouragement de la culture est donc irrecevable.

Le Parlement aura la tâche de corriger le tir et de montrer sa volonté d’ancrer dans la loi les instruments d’une vraie politique culturelle : concilier la nécessaire liberté de l’art avec un soutien public déterminé à tous les échelons de la création, des artistes au public en passant par les acteurs de diffusion des œuvres. Il y aura fort à faire. La toile est blanche et même les clous ne sont pas financés.