La LEC, un véritable flop

Numéro 15 – Septembre 2007

CultureEnJeu, dans son tout premier numéro, et tout au long de l’année 2004, avait mis à la une la question de la loi sur l’encouragement à la culture (LEC), promise pour le printemps même et déjà reportée à fin 2004. Trois ans plus tard, les interrogations et les revendications des artistes restent d’actualité : le projet qui vient d’être remis aux Chambres par le Conseil fédéral début juin 2007 s’avère une coquille vide. Analyse.

Une loi fédérale est destinée à donner une légitimité aux choix démocratiques de l’ensemble du pays. C’est là sa force. Dans le champ de la culture, elle est censée défi­nir d’abord le fait culturel, à la fois au sens large et au sens strict, selon la définition de l’Unesco : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »[1]. La notion de démocratie culturelle y joue un rôle primordial. La culture concerne tous les citoyens. Avec la loi sur l’encouragement à la culture, il s’agissait d’encourager, comme son nom l’indique, l’avènement de meilleures conditions pour l’art et la culture, pour les artistes et donner une impulsion à la protection sociale des créateurs. Il s’agissait de mettre en place un environnement politico-économique favorable au professionnalisme le plus exigeant. Il s’agissait aussi d’assumer jusqu’au bout les ambitions d’une aide accordée aux manifestations d’intérêt national.

Structurer le vide

L’impact d’une loi fédérale sur la culture de toute la Suisse déborde très largement les dimensions financière, politique et sociale de la culture. Elle met en lumière la place qui est faite aux créateurs, aux acteurs culturels à tous les niveaux et les conditions qui leur sont réservées. L’on ne peut oublier que pour pouvoir utiliser la culture comme une vitrine prestigieuse, il faut veiller à ce que le terreau culturel reste vivant et riche. À ce titre, ce qui se fait dans les différents arts à l’échelon cantonal, communal et dans les villes a une grande portée sur l’ensemble du paysage artistique. Et donc doit être pris en compte – malgré la subsidiarité – dans une vision globale de la culture au niveau fédéral. Volonté forte et perspectives énergiques sont les ingrédients de base d’une loi d’encouragement pour la culture. Malheureusement, le projet de loi présenté en juin dernier au Parlement a fait un véritable flop.

Balayée, l’aide directe – même subsidiaire – à la création

Les problèmes de fond concernent l’esprit de la loi, mais aussi ses formulations. Dans son état actuel, la LEC propose de structurer, puis de gérer le vide… Dans une information aux médias, au moment de la consultation sur l’avant-projet en 2005, la Société suisse des ingénieurs et des architectes relevait « le flou terminologique [entre art et culture] qui dément grossièrement les ambitions affichées en faveur d’une vision globale et réfléchie de la nouvelle politique culturelle de l’État fédéral ». Ces remarques gardent leur pertinence aujourd’hui. La loi sur l’encouragement à la culture semble composée d’un recueil de Kann-Formulierungen[2] – « la Confédération peut » – alors que des questions importantes attendaient des réponses précises, assorties d’un projet de réalisation en termes financiers.

Trahie par le langage

« Les formulations utilisées dans le texte de la loi ont une grande importance symbolique », remarquait la Conférence des villes suisses au moment de la consultation. En effet, elles donnent la lettre et révèlent l’esprit de la loi.

« Que ce soit en temps de crise ou par bonne conjoncture, la culture ne cesse de prendre de l’importance, non seulement comme moyen d’expression ou comme facteur économique, mais aussi pour donner un sens à la vie et fournir des repères. Et malgré la participation notable de l’économie au financement de la culture, on attend des pouvoirs publics qu’ils s’engagent plus fortement et surtout durablement. Pour pouvoir agir correctement et efficacement, il faut des connaissances confirmées des cultures, des artistes, des conditions de travail du secteur culturel, de l’accueil réservé aux productions culturelles, etc. »[3]. Comment peut-on partir du rapport Clottu, reconnu comme un inventaire – unique à ce jour – de la culture suisse, et du commentaire du groupe de pilotage dont les constats et recommandations sont pleins de sagacité et de réalisme, pour aboutir à un projet de loi qui ne satisfait personne ? Les deux rapports en question méritaient d’être publiés. Il aurait dû en être de même des réactions rendues lors de la consultation des organisations culturelles au sens large.

Débat public nécessaire

L’Association suisse des médiateurs culturels de musée, Mediamus, notait, lors de la consultation de 2005, la traduction par « diffusion » du mot « Kulturvermittlung » qui a un sens plus large et plus interactif en allemand et proposait le terme de « médiation culturelle ». Il y a là tout un débat en soi. L’une des tâches principales que se donne la Confédération – celle de la diffusion des œuvres – dénote à travers les mots une conception insuffisamment claire. Les processus de création et de diffusion entretiennent des liens complexes et délicats. La logique du marché ne peut s’appliquer telle quelle à la culture sous peine de lui causer des dommages sérieux. Pourquoi l’idée d’un forum Internet pour la consultation sur le projet de loi n’a-t-elle pas été retenue ?

Pourquoi l’idée d’un forum Internet pour la consultation sur le projet de loi n’a-t-elle pas été retenue ?

Dans ce cadre, un débat ouvert au public aurait été intéressant. Les réponses enregistrées et mises en ligne systématiquement auraient permis à tout un chacun d’en prendre connaissance et d’en débattre. Ce geste symbolique aurait montré la volonté de rassembler les forces concernées par la culture et la résolution, au niveau fédéral, de leur donner les moyens de s’exprimer totalement. L’article 69 Cst. a fait entrer la culture nationale dans le domaine de la responsabilité fédérale. Dès lors, le rôle de lien de la Confédération paraît comme une évidence.

Réponse inadéquate

Dans le même sens, il y avait matière à travailler sur des pistes de concertations et de collaborations, notamment avec les cantons, responsables désignés de la culture, mais aussi à donner aux artistes une vraie place dans le dialogue et la mise en œuvre de la LEC qui les touche directement. Ce projet est une réponse inadéquate à l’engagement et à l’investissement de très nombreuses organisations culturelles, sociales et politiques.

Bien des réactions datant de la consultation sur l’avant-projet en 2005 – assorties de propositions et de suggestions point par point – n’ont pas été entendues ou simplement écartées. Aussi ne faut-il pas s’étonner que ce projet de loi réussisse à mobiliser quasiment toutes les forces culturelles et politiques contre lui, à l’instar de Suisseculture, association faîtière des organisations de créateurs culturels en Suisse. Même celles qui entrent en matière sur l’ensemble insistent sur les manques ou les questions auxquelles la loi n’apporte pas de réponse convaincante. Un engagement décidé de l’État à l’égard de la culture et de sa valorisation est aussi un moyen de régler la différence entre le mécénat – domaine des pouvoirs publics et fondations – et l’économie privée, une présence significative pour la culture.

Du balai

Dans la foulée, balayée, l’aide directe – même subsidiaire – à la création. Non seulement cette dernière est renvoyée à la seule responsabilité des cantons, communes et villes, mais encore sur le plan fédéral, « les artistes ne jouent aucun rôle dans l’élaboration de directives stratégiques », constate entre autres critiques, l’Association des Autrices et des Auteurs de Suisse. Dilué, le principe d’une vraie répartition des tâches, au-delà de l’administratif, préservant toute l’autonomie de Pro Helvetia et ses acquis considérables en matière de connaissance de terrain et des créateurs. Alors qu’il faut encourager la Fondation suisse pour la culture à perfectionner son évolution et lui donner les moyens d’élargir ses relations avec les créateurs et de consolider le dialogue avec eux. Occultée, la sécurité sociale des artistes, alors que c’était une préoccupation centrale aux yeux des associations culturelles et politiques. Écarté, le sort réservé aux institutions phares, quelle que soit la position des uns et des autres à ce sujet. Pourquoi la liberté de l’art, inscrite dans l’art. 21 Cst., n’est-elle ni reprise ni investie d’une garantie concrète dans la loi ? Autant dire que l’on assiste à un nettoyage qui occulte simplement les problèmes brûlants. Sans doute s’agissait-il de les rendre invisibles. Comme s’ils pouvaient disparaître par magie.

Et maintenant ?

Ces décalages dénotent un manque réel de communication, d’une part, et de dialogue efficace d’autre part. Une politique culturelle au niveau fédéral, qui devrait être l’objet central de ce projet LEC, doit tenir compte de l’environnement culturel international qui n’est pas juste un marché, et donner des signes clairs, concrets et dynamiques, par exemple, au sein de la Coalition suisse pour la diversité culturelle (voir CEJ n°11). L’ampleur des actes en faveur de notre culture est le seul terrain de démonstration possible pour la Confédération, y compris en matière d’image. Le marketing, pourquoi pas, mais sans dénaturer la culture et sa fonction vitale dans la société, et avec les artistes, non malgré eux.


Suisseculture se dit « très inquiète »

L’association[4] juge les projets de lois totalement insatisfaisants.« Les projets de lois sur l’encouragement à la culture (LEC) et sur Pro Helvetia (LPH) qui sont présentés par le Conseil fédéral ne remplissent aucunement les exigences qui étaient posées par Suisseculture, l’association faîtière des organisations de créateurs culturels en Suisse. En comparaison avec la situation actuelle, il n’y a aucune amélioration dans le sens de la promotion de la création artistique, de la sauvegarde de la diversité culturelle et de l’élaboration de lignes de forces pour une politique culturelle au niveau national. Au contraire : la tendance va dans le sens d’un affaiblissement des compétences de la Confédération qui se réduisent à des tâches administratives et d’une diminution de l’autonomie de Pro Helvetia dans ses domaines de compétences.

Suisseculture est très inquiète de constater que malgré des corrections importantes, les faiblesses fondamentales des deux projets n’ont pas pu être éliminées. Il s’agit maintenant d’évaluer avec soin si une entrée en matière par les Chambres se justifie encore. »


Le Conseil suisse du livre fustige les lenteurs bernoises

Par le Conseil suisse du livre
Dans un communiqué de presse daté du 4 septembre, le Conseil suisse du livre déplore que la Commission de l’économie et des redevances suspende ses travaux au sujet du prix unique.

Le Conseil suisse du livre (CSL), qui représente les intérêts des trois associations professionnelles des libraires et éditeurs suisses, a pris connaissance avec une vive déception de la décision prise le 4 septembre par la Commission de l’économie et des redevances (CER) du Conseil national au sujet du projet de loi sur la réglementation du prix des livres.

La CER a décidé de suspendre l’avancement des travaux autour du projet de loi sur la réglementation du prix des livres, dans l’attente de connaître les effets de la levée du « prix fixe » outre-Sarine.

Le 2 mai dernier, le Conseil fédéral s’était en effet prononcé contre un maintien, pour des intérêts culturels et politiques, de l’accord sur les prix jusqu’alors en vigueur en Suisse alémanique.

La décision de la CER a été prise à une très courte majorité : 12 voix contre 11, avec une abstention. Le Conseil suisse du livre prend connaissance, avec une vive déception, de cette décision qui reporte la reconnaissance de l’aspect culturel et politique du livre, avec des conséquences négatives, non seulement pour la branche, mais aussi pour le livre en tant que bien culturel.

Mais le Conseil suisse du livre est convaincu que le rapport qui sera élaboré confirmera les résultats des autres études menées, selon lesquelles la réglementation du prix du livre est un moyen très ef­ficace pour offrir au public suisse un large choix de livres et ce, à des prix avantageux.


[#1] Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence
mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6
août 1982.

[#2] Critiques de plusieurs réponses à l’avant-projet, notamment
Visarte suisse, dans un document disponible en allemand et l’Association
suisse des musiciens.

[#3] Commentaire du groupe de pilotage de la loi
fédérale sur l’encouragement à la culture,
Recherche (art. 15), 27 août
2003

[#4] Communiqué de presse daté du 8 juin 2007.