Édito n°17, avril 2008 – Pour que la guerre des jeux n’ait pas lieu, une initiative helv-éthique

Numéro 17 – Mars 2008

Il y a trois gobelets renversés, chacun avec un grand « C ». Celui des Cantons, celui de la Confédération, et celui des Casinos. Sous lequel se cache le dé de la culture ? Un tour de passe-passe, hop, on découvre la culture sous le gobelet des cantons, fédéralisme oblige…

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Illustration © 2008, Giroud

Maintenant, vous vous attendez logiquement à trouver le dé du financement de la culture sous le gobelet des cantons… ? Naïf, l’artiste ! Attention, ça s’accélère… Il est sous celui des casinos. Qui – nouvelle rocade des gobelets – en rendent la moitié à la Confédération.

Les cantons ? Rien (ou si peu) pour financer la culture ne vient du monde des casinos, ou de la Confédération. Mais il leur reste néanmoins une fort belle et fort prestigieuse mission (avec les villes), celle de financer la culture, hum !

Ce jeu a été inventé au début des années 90 par le gouvernement suisse. Pour éviter que l’argent des parieurs de casinos ne parte à l’étranger, disait-on, il fallait des casinos en Suisse.

Quinze ans plus tard, il y a des casinos en Suisse. Qui marchent plutôt bien, merci pour eux. L’argent reste-t-il en Suisse ? C’est moins sûr. En tout cas pas plus de la moitié. Une grande partie va dans les poches de groupes de casinos multinationaux. Le reste dans les comptes de l’AVS, mais pas au bénéfice des rentiers : simplement pour soulager les comptes de la Confédération.

Qu’il ait fallu, pour favoriser l’essor des casinos, programmer le déclin des loteries suisses, personne ne l’avait prévu, personne ne l’avait annoncé. On nage dans les contradictions les plus extravagantes. D’un côté, on dérégule en faveur des jeux privés, de l’autre on interdit aux loteries de service public de s’engager sur le terrain qu’on prétend déréguler ! La relative complexité de la matière parvient trop bien à camoufler la réelle intention de l’Office fédéral de la Justice, sans doute briefé par le gouvernement, de bloquer les projets de la Loterie Romande et de Swisslos. Si quelqu’un avait lancé cette prédiction dans le débat sur la hausse des mises autorisées dans les casinos au cours des années 90, il aurait passé pour un illuminé. Et pourtant, ce jeu de passe-passe, dont le Tactilo romand (un tiers des ressources de la Loterie Romande) n’est que le premier à faire les frais, produit déjà en 2008 un recul des dons de plusieurs millions.

Les cantons et les villes sont-ils prêts à remplacer les loteries dans le financement qu’elles apportent au sport, au social, à la culture ? Ou se déroberont-ils ? C’est plus que certain. Alors, aux artistes, aux sportifs, aux pauvres, aux handicapés et aux Aînés de trinquer !

Une initiative est lancée par la Loterie Romande pour empêcher ce croche-pied. Son seul but est de rendre la position des loteries intouchable – en garantissant le statu quo aux casinos. Au plus haut niveau législatif, la Constitution fédérale doit se porter garante du domaine protégé des loteries gérées par les cantons et contraintes de verser la totalité de leurs bénéfices au bien commun. Comme c’est le cas aujourd’hui, à la satisfaction générale.

Le pire, si on laisse faire : cette stupide guerre d’usure inter-helvétique mettra au tapis tous les acteurs des jeux d’argent suisses qui respectent une certaine éthique. Les grands vainqueurs seront des privés, qui se soucient aussi peu des malades du jeu que des sportifs, artistes et retraités en Suisse. La dérégulation envisagée profitera surtout aux propriétaires de sites de paris et de loteries sur Internet. L’initiative vient à point pour empêcher cette guerre désastreuse, en proposant une coexistence pacifique.

Le message des artistes est clair : ils mettent le pied dans la porte, plus aucun avantage ne doit être accordé par les instances fédérales à une cause aussi peu sociale, sportive et culturelle que celle des casinos. Que les casinos se développent avec les avantages exorbitants dont ils ont été dotés, d’accord, mais pas en obtenant de la collectivité des privilèges supplémentaires – dont seules des instances entièrement dévouées à la collectivité doivent pouvoir disposer.

C’est un choix de société, au sens noble. Il part du constat que la société suisse n’est pas suffisamment impliquée dans ce débat. Et que l’initiative fédérale est un bon moyen pour alerter le citoyen et lui permettre de répondre à la question : pourquoi accepter que l’argent perdu par les joueurs aille en grande partie dans des poches privées, internationales, alors qu’il existe un système pour que cet argent perdu retourne, dans trois des secteurs économiquement parmi les plus fragiles du pays, à ceux qui en ont véritablement besoin ?