L’assistance médicale aux accrocs du jeu

Numéro 19 – Septembre 2008

Au delà des questions éthiques, le principal reproche fait au jeu est l’addiction qu’il peut engendrer chez certains joueurs – et les drames sociaux qui y sont généralement liés. Pour essayer de traiter cette problématique, il existe depuis quelques années une institution dont c’est le rôle : le Centre du Jeu Excessif. Pour essayer de mieux comprendre son fonctionnement, nous avons interrogé l’un de ses responsables, le Docteur Olivier Simon[1].

Depuis quand existe le Centre du Jeu Excessif (CJE) à Lausanne et comment fonctionne-t-il ?

Le CJE a ouvert ses portes fin 2001, avec quatre missions dans son cahier des charges : mission de soins, c’est-à-dire accueil et prise en charge des personnes touchées et de leurs proches ; mission de formation-enseignement, ayant pour but d’améliorer les compétences des professionnels de première ligne, qu’il s’agisse des intervenants socio-sanitaires, scolaires, des professions juridiques ou des personnes intervenant dans les programmes de prévention internes à l’industrie du jeu ; mission de recherche, comme toute unité dépendant de l’hôpital universitaire ; et enfin, mission de prévention, s’agissant d’améliorer l’accès aux soins, mais aussi en amont, d’empêcher l’apparition de comportements problématiques. En matière de prévention, le rôle d’une structure comme le CJE est aussi d’apporter son expertise dans le champ de l’évaluation des programmes mis en place dans le cadre des politiques publiques.

Combien de patients consultent par année ?

Nous traitons entre 120 à 140 patients annuellement, ce qui correspond environ à 70 à 90 nouveaux cas.

Quel est le pourcentage de joueurs que l’on peut considérer comme des joueurs compulsifs ?

On considère que si la grande majorité des adultes jouent aux jeux d’argent à titre occasionnel, seuls 1 à 4% d’entre eux vont présenter à un moment de leur existence des comportements de jeu problématiques.

Quels sont les critères qui déterminent la qualification de joueurs compulsifs ?

Le joueur compulsif joue plus souvent, plus longtemps et plus d’argent que prévu. Les deux critères relatifs à toute addiction sont généralement la perte de contrôle d’une part, et la sévérité des conséquences psycho­sociales, d’autre part. Le critère spécifique aux jeux d’argent est que la personne va retourner jouer dans le but de se « refaire ». Ceci à l’encontre de l’évidence statistique, qui fait qu’à long terme le bénéfice est du côté de l’exploitant du jeu, et la perte, du côté du joueur, même s’il y a des gains intermédiaires plus ou moins spectaculaires. C’est ce qu’on appelle l’espérance de gain négative du joueur.

Observez-vous des différences au niveau des addictions entre les jeux (lotos, Tribolo, machines à sous, roulette, poker…) ?

Tous les jeux d’argent sont potentiellement addictogènes. Ces différences restent mal étudiées. La brièveté du délai entre mises et résultats est un élément déterminant, mais aussi l’accessibilité, et la possibilité de jouer des mises élevées.

Comment les joueurs arrivent-ils dans votre centre ? Qui vous les envoient (famille, médecins, Loterie Romande…) ?

La majeure partie des personnes qui nous sont adressées le sont par leur entourage personnel, qui trouve nos coordonnées via le web. Une petite proportion est adressée par le réseau médico-social de première ligne, ainsi que par le personnel de l’industrie du jeu directement en contact avec les joueurs.

Quelle est la prise en charge qui est faite ? Quels sont les traitements thérapeutiques que vous prodiguez ?

Il n’existe pas de prise en charge « standardisée » du joueur, pas plus qu’il n’existerait de thérapie miracle dans quelque domaine que ce soit de la santé mentale. Les prises en charges se considèrent sur une base individualisée, et comportent en particulier un volet psychothérapeutique, lié aux croyances de gain, mais également un volet médicamenteux portant sur l’impulsivité et la dépression, et un volet socio-éducatif, portant sur la gestion de l’argent. Ce dernier aspect peut comporter une mesure d’interdiction volontaire ou encore des mesures tutélaires comme une curatelle.

Peut-on guérir d’une telle addiction ?

L’addiction est une maladie chronique qui oblige à relativiser le terme de « guérison », avec un parcours souvent émaillé de rechutes. Que la personne passe par une décision d’abstinence ou plus modestement par une réduction des comportements de jeu, sa qualité de vie se trouve habituellement d’emblée améliorée.

Voyez-vous une évolution, des changements dans les addictions et/ou dans les traitements ?

Il y a une constante, en ce sens que l’addiction au jeu est retrouvée dans toutes les sociétés de toutes les époques. Aujourd’hui, on assiste à une expansion de l’offre non seulement des jeux d’argent, mais aussi une accentuation des inégalités face aux problématiques de santé mentale, en général. D’autres conduites addictives dites « sans substances » interpellent. On pense bien évidemment aux jeux vidéo en ligne. Cette demande d’aide reste cependant marginale par rapport aux demandes liées aux jeux d’argent.

Quels sont les résultats obtenus ?

Le résultat de l’accompagnement n’est bien évidemment pas synonyme de « guérison », au sens absolu. Le problème se situe toutefois plutôt en amont. Seule une très modeste fraction des joueurs à problèmes consultent. Il y a donc lieu de repenser l’offre de soins et de ne pas se limiter à des aides de type consultation traditionnelle. Ainsi, la coordination des efforts de prévention au niveau romand[2] met-elle l’accent sur la toute récente création d’une helpline (0800 801 381) et d’une offre de soins par Internet.

Au sujet des polémiques qui agitent les milieux politiques ?

Le CJE est un acteur indépendant, rattaché à l’hôpital universitaire. Sa fonction est d’apporter son expertise dans un domaine qui en manque cruellement. Il est du devoir éthique d’une telle structure de se distancer d’avis à l’emporte-pièce, si l’on ose dire, qu’ils émanent des milieux économiques (industrie du jeu comme services financiers de l’État), ou encore des milieux judiciaires (qui assurent la fonction de police des jeux). L’enjeu est d’apporter des financements réalistes à la prévention, et en ce sens, la fiscalité suisse de 0,5% sur le revenu brut des jeux de lote­ries constitue un progrès très significatif. Mais cet effort doit être mis en perspective avec ce qui se passe dans d’autres juridictions, notamment canadiennes, ou l’affectation à la prévention peut atteindre jusqu’à 2,5% du revenu des jeux d’argent. C’est là le prix d’une authentique politique de santé publique en ce domaine.


[#1] Le Dr Olivier Simon est médecin associé au Centre du jeu excessif, CHUV

[#2] Mandat de la conférence latine des affaires sanitaires et sociales confié au Groupement romand d’étude des addictions