Édito n°2, juin 2004

Numéro 2 – Juin 2004

Par Marco Polli, Sima Dakkus, Frédéric Gonseth

La victoire est tombée de façon heureuse et inattendue : nous avons combattu, avec succès, un projet de loi qui dépouillait les loteries au profit des casinos et le Conseil fédéral vient d’en annoncer la mise au placard. EnJEUpublic est né de cette réaction, ainsi que CultureEnjeu. Mais le repos du guerrier ne saurait être pour tout de suite. Nous nous battons pour conserver toutes les sources de financement de la culture dans toutes ses expressions et les élargir à l’avenir.

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Illustration © 2004, Bruno Racalbuto

L’immoralité prêtée à tout jeu de hasard par Jacques Neirynck entacherait la culture qui profite de ses retombées. C’était également le propos d’une récente campagne des casinos et de leurs défenseurs, largement répercutée par les médias, qui se plaignaient de la concurrence intolérable des loteries. On croit rêver. Car entre casinos et loteries, la différence est de taille. Les ressources des loteries sont transparentes, limitées et leurs bénéfices intégralement redistribués à des œuvres d’utilité publique. Une bonne partie de celles des casinos sont dispersées dans des grands groupes financiers multinationaux comme Barrière et Partouche – dont on nous annonce que l’un va manger l’autre, ou s’est fait manger, que sait-on. Les risques de favoriser le blanchiment d’argent sont, de ce fait, très réels. Certes, on nous annonce que 223 millions de francs prélevés sur les casinos ont été versés à l’AVS. Ce n’est pas une raison pour vouloir dépouiller les loteries dont les bénéfices sont redistribués intégralement et sous contrôle. Quel intérêt pourrait bien avoir la population suisse à ce petit jeu ? Aucun.

Côté moral, ça se discute. Entre prohibitionnisme et licence, il y a une marge. Ce n’est pas en niant un fait de société comme le jeu qu’on en éliminera les dérives, dont la dépendance et la criminalité. La loi de 1927 mettait fin à une situation chaotique pavée de scandales financiers. Elle impose un cadre strict aux loteries que la libéralisation voulue par madame Metzler aurait fait éclater. Nous nous sommes employés à défendre cet équilibre dont, il est vrai, artistes et nombres d’institutions d’utilité publique bénéficient.

Nous avons fait le choix de la transparence. Reste celui de l’indépendance. CultureEnJeu reçoit une aide de la Loterie Romande aux côtés d’autres annonceurs. Mais n’est-ce pas le cas de toute la presse qui n’existerait pas sans la publicité et le sponsoring ? Nous ne mélangeons pas la partie publicitaire avec la rédactionnelle, bien sûr. Comme tout journal, nous avons le souci de contrebalancer la dépendance à la publicité par les abonnements. De ce côté-là, ça ne va pas si mal, mais il y a encore fort à faire.

Cela dit, enJEUpublic ne s’occupe pas que des loteries et ces polémiques adventices risquent d’en faire oublier l’objectif essentiel : réunir toutes nos forces pour défendre plus que jamais les ressources de l’art sous toutes leurs formes et de faire entendre la voix des artistes dans les décisions économiques qui les concernent. Nous sommes notamment préoccupés par le désengagement de l’État lié à la raréfaction de l’argent public en général qui n’est pas une fatalité, mais une mauvaise politique. L’État pourrait jouer le rôle de leader et stimuler les engagements privés. Or, il fait le contraire.

Nous nous attendions à ce que notre action gêne certains. Nous invitons les lecteurs à faire le tri entre ceux qui nous proposent réellement des moyens pour augmenter nos ressources, et ceux qui camouflent de très gros intérêts particuliers au détriment de l’intérêt public derrière des phrases vertueuses.