Le rêve du musée des Beaux-arts vaudois n’aura pas lieu

Numéro 20 – Décembre 2008

Par Gérald Morin & Tanguy Ausloos

Un nouveau jour se lève sur la friche de Bellerive !

Un peu plus de la moitié de la population vaudoise (52.4 %) a choisi de renoncer à allouer un crédit public de 390 000 francs destiné à l’étude du développement du projet architectural « Ying Yang » du musée des Beaux-arts à Bellerive. Rappelons que le coût global de l’étude était de 2 millions, dont plus de 1.6 million était assuré par des fonds privés.

Ce vote négatif nous fait revenir sur deux points. Il nous semble que les opposants ne les ont probablement pas assez pris en considération.

Le premier est avant tout d’ordre économique. Les fondations privées revoient régulièrement les choix de leur mécénat. À l’occasion du projet d’un musée des Beaux-arts à Bellerive, elles étaient plusieurs à s’allier pour donner vie à cette proposition courageuse au service aussi bien de la population vaudoise que de celle de l’ensemble de la Suisse romande, sans oublier les nombreux touristes qui parcourent toute l’année l’arc lémanique. Il est évident que les fonds destinés au musée vont servir d’autres causes et ne seront probablement plus disponibles dans quelques années pour un nouveau projet.

Le second point concerne surtout le patrimoine artistique des collectionneurs privés qui ont rassemblés des œuvres reconnues d’importance mondiale pendant plusieurs décennies, voire une vie entière. Seule leur passion et leur attachement à leur région ont permis à ces collections de rester sur le territoire helvétique et d’être mises à disposition de musées pour être présentées au public. Quelques unes sont gérées directement par leur créateur ou fondateur, comme en Valais la Fondation Gianadda ou la Fondation Fellini. D’autres collectionneurs, dans leur acte de donation aux musées, ont exigé de la part de ces instituts une mise en visibilité des œuvres dans des conditions optimales d’exposition muséale. C’est le cas, par exemple, de la collection Gigoz, la plus importante collection au monde de verres (5 500 pièces), couvrant une période de 800 ans allant du IVe siècle av. J.-C. au IVe siècle ap. J.-C., ou de celle de Jean Planque composée de 250 pièces, dont 16 Picasso, 16 Dubuffet, 5 Paul Klee, sans oublier Van Gogh ou Nicolas de Staël. La Suisse a déjà vécu plusieurs fois la perte de grandes collections, soit par manque de courage politique, soit pour n’avoir pas toujours cherché des solutions financières adéquates.

Souvenons-nous du départ douloureux de la collection Thyssen du Tessin pour l’Espagne. Qu’en sera-t-il de la collection Planque dans le Canton de Vaud ou de la Collection Gigoz en Valais ?


N’oublions pas que…[1]

Par Jean-Jacques Annaud, Laurent Benzoni, Mats Carduner, Emmanuel Chain, Hervé Digne, Renaud Donnedieu de Vabres, Axel Ganz, Emmanuel Hoog, Alain Kouck, Véronique Morali, Pascal Rogard, Nicolas Seydoux

« L’art est une exigence, une métamorphose, un voyage. C’est également une fondation, un ancrage, une signature. Une réconciliation entre le soi et l’autre. »

Lorsque les constructions humaines artifi­cielles et précaires deviennent des ruines et des décombres, l’architecture, le patrimoine, le spectacle vivant, les arts plastiques, l’écrit, le son, la lumière, l’image, le film sont de puissants vecteurs de confiance, de ressourcement qui créent l’élan, génèrent la dynamique, rétablissent l’unité intérieure. L’homme devient riche de son regard, heureux de sa sensation, apte à embrasser le monde. Il devient universel, frère, disciple. Ou contradicteur par devoir et par passion légitime.

Même s’il est conçu dans la pauvreté, le dénuement et la précarité, l’acte artistique est une richesse et une valeur plus puissantes et incarnées qu’une réussite financière fugace et éphémère.

La culture ne saurait se réduire à une élégance, un divertissement, une angoisse ou une ivresse. Elle est la marque d’une époque, le reflet d’une terre, le soleil d’une main et d’un cerveau. Elle est la transfiguration de la matière, la sublimation d’un projet. L’horizon d’une idée. Elle est un phare d’autant plus puissant et protecteur que les océans de la folie humaine sont déchaînés et destructeurs.

La culture est l’investissement de l’avenir, l’équilibre et la célébration du présent, l’humilité de l’histoire et de la chaîne du temps, la transformation du fugace en permanence du génie et du savoir-faire. Pour la France, la culture est notre chance, notre vocation, notre solidité et notre destin. Notre horizon.


[#1] Le Monde, 15 novembre 2008