Édito n°21, mars 2009 – La réponse est dans la diversité culturelle et sa défense intransigeante

Numéro 21 – Mars 2009

L’effondrement, sous le poids de ses propres fautes, de la Maison UBS fait la Une. Le spectacle tragi-comique de fraudeurs et prédateurs en tout genre, qui se tiennent par la barbichette sous l’œil sévère du Grand frère qui nous joue le grand air de Mister Proper, prêterait plutôt à rire. N’était-ce que ce sont toujours les petits qui trinquent quand les grands boivent la tasse, comme ces millions d’Américains ruinés par les subprimes.

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Illustration © 2009, Bruno Racalbuto

Serait-ce la fin d’un système arrogant qui a tenu le haut du pavé durant deux décennies, prônant le droit du plus fort comme unique loi, celle du marché globalisé ? Ça serait intéressant. Car, on l’a peut-être oublié, si l’opération entreprise par l’OMC, instrument docile au service du grand État, avait abouti, on en prendrait à perpétuité pour les séries américaines omniprésentes sur nos écrans. Non qu’elles soient particulièrement mauvaises, mais c’est comme le meilleur des Reblochons, on ne peut se nourrir que de ça.

Revenons quelques années en arrière, au 20 octobre 2005. 148 États adoptaient ce jour-là en assemblée générale de l’UNESCO la Convention pour la diversité culturelle contre l’avis des seuls USA et d’Israël. Ce vote est indicatif que quelque chose était déjà en train de changer dans le nouvel ordre mondial. De nouvelles puissances émergentes n’entendaient déjà plus se faire dicter leur politique en matière culturelle par le Grand frère, comme les Coréens condamnés par le tribunal OMC pour avoir pris des mesures de soutien à leur jeune cinéma, ou les Canadiens protégeant leur presse…

Dans leur arrogance aveugle, les USA avaient oublié entre autres qu’on n’écrase pas impunément une institution nationale comme le cinéma français. Le piquant de l’affaire, c’est que s’il a fallu lutter pied à pied durant des années pour défendre les prérogatives des États en matière de politique culturelle, quelques jours auront suffi pour faire injecter, la tête dans le sac, des centaines de milliards de dollars, d’euros, de francs dans l’économie privée par ces mêmes États tant honnis la veille encore.

La dictature absolue du marché qu’on a voulu imposer via l’OMC a vécu. Celle de l’État devrait-elle la remplacer ? Certainement pas. Ni en économie, ni dans le domaine de la culture. Les rôles respectifs de l’État et de l’économie privée sont non seulement complémentaires, mais en matière de culture ils demandent à être constamment redéfinis. La démocratie, dans un pays aussi développé que la Suisse, ce n’est pas seulement des votations, mais un ensemble très complexe d’institutions aux mécanismes de régulation aux équilibres mouvants, de personnes de bon sens aussi.

À l’exemple d’un musée de proximité, celui de Pully, ou de la saga du Musée Jenisch, nous vous invitons dans ce numéro à suivre les parcours sinueux qui permettent d’assurer à long terme la vie d’institutions culturelles dans un domaine d’accès pas toujours facile : les arts visuels. Joël Aguet est allé interviewer Dominique Radrizzani, directeur depuis cinq ans du Musée Jenisch de Vevey, qui nous conte la vie de cette institution plus que centenaire aux nombreux avatars. Dans un autre article, Tangy Ausloos interroge l’art de gérer dans la durée un musée de proximité. Mais derrière les pierres et les œuvres exposées, il y a les artistes et leurs parcours tout aussi sinueux et aléatoires. Pourquoi ne pas suivre celui de Didier Rittener parmi tant d’autres ?

De même que l’audimat ne garantit pas la qualité, la vox populi est parfois bien capricieuse et les votations populaires sur des sujets culturels sont souvent décevantes. Les démocrates que nous sommes sont ici face à une difficulté, celle de la gestion de l’esprit du temps. Anne Cuneo nous donne l’exemple glorieux de résistance au diktat nazi du Schauspielhaus de Zürich. On y rencontre un jeune homme déterminé, Max Frisch, ou ce général, tantôt célébré dans les chaumières tantôt vilipendé dans certains salons qui pourtant s’avéra plus avisé en cette circonstance que les politiques. L’intervention de l’État a permis d’assurer l’indépendance artistique et l’honneur d’un théâtre qui sera des années durant un phare européen. Pourtant, la notion avec laquelle elle se justifie – la « défense spirituelle du pays » – n’est pas exempte d’ambiguïtés. Elle pourra facilement se retourner contre de nouveaux « ennemis de la patrie » comme le peintre et graphiste Hans Erni dont on célèbre un peu hypocritement le centenaire ces jours, écarté jadis des honneurs et des contrats parce qu’il était communiste.

La municipalisation a été la réponse dans un moment particulier de notre histoire pour sauver le Schauspielhaus et garantir un espace de liberté artistique. Est-elle la solution pour résoudre les problèmes récurrents qui se posent au théâtre en général ? À l’exemple romand de ces dernières décennies, Joël Aguet nous en donne une image plutôt contrastée.

S’il est une leçon qu’on peut tirer en guise de conclusion, c’est qu’aucune domination exclusive sur la culture, que ce soit celle d’un nouveau Jdanov ou de la bourse de Wall Street, ne pourra nous satisfaire. La réponse est dans la diversité culturelle et sa défense intransigeante.