Le musée de proximité

Numéro 21 – Mars 2009

Par Delphine Rivier et Tanguy Ausloos

La scène des arts visuels : un réseau multiforme

Dans le domaine des arts visuels, différents types de lieux d’exposition cohabitent et se complètent. Espaces d’art gérés par des associations à buts non lucratifs, galeries à caractère commercial, musées à vocation régionale, nationale ou internationale, centres d’art, tous se diversifient pour présenter des artistes émergents ou confirmés, des expositions prestigieuses d’envergure internationale ou des présentations à caractère local, et cela en fonction de leur mission et de leur budget. Ensemble, ils forment un tissu dense et varié, qui touche divers publics et offre un panorama artistique le plus complet possible. Au final, un réseau multiforme qui exprime la richesse culturelle d’une région.

Le rôle du musée régional, le Musée de Pully

Au niveau régional, le musée occupe ainsi une place importante, complémentaire de celle des autres institutions. Le Musée de Pully appartient à cette catégorie des musées de dimension moyenne, à vocation de proximité, que ce soit par son choix de programmation et par les publics concernés. Sans l’ambition ni les moyens financiers de concevoir et d’accueillir de grandes expositions à rayonnement national ou international, il se consacre à la présentation et à la promotion de l’art visuel régional, en faisant découvrir – ou redécouvrir – des œuvres, des rétrospectives aux travaux récents, issues de cette scène locale extrêmement vivante. Ce positionnement n’est pas une contrainte, mais au contraire une opportunité de définir et de revendiquer une identité propre, parallèle à celles d’institutions plus importantes comme le Musée cantonal des Beaux-arts, le Musée Jenisch ou la Fondation de l’Hermitage.

La collaboration entre les musées est un moteur important pour le développement de ses activités. Il est en effet difficile de travailler seul, et une institution isolée manque aujourd’hui de sens. Ainsi, pour reprendre l’exemple de Pully, le musée, ainsi que la Villa romaine, prennent part à la coordination des musées lausannois et participent aux manifestations que sont les conférences de presse annuelles, la nuit des Musées de Lausanne et Pully, Pakomuzé ou le passeport vacances. Pour une petite institution comme le Musée de Pully, il est important d’envisager des collaborations, que ce soit pour l’organisation d’expositions ou pour les éditions.

En suivant cette voie, le Musée de Pully favorise la programmation d’artistes qui se situent entre l’école et la notoriété, dans une région à la scène visuelle très forte (pour ne mentionner qu’un exemple, on pourrait parler du rôle moteur de l’ECAL). Un autre aspect important pour ce musée réside dans la présentation régulière du patrimoine artistique local qui intéresse la population. Le rôle du musée de proximité consiste donc à défendre les artistes régionaux et à mettre en place une médiation pour l’accueil des publics. Les collections du musée sont un patrimoine communal, qui s’enrichit année après année, au rythme des achats et des dons. Il présente un reflet original de la production de la majeure partie des artistes locaux, de Marius Borgeaud à Olivier Estoppey.

Les nouveaux enjeux : la médiation culturelle et la communication

Pully se situe à proximité immédiate de Lausanne. Il attire d’une part le public culturel de la capitale vaudoise et profite également de la population du district de Lavaux auquel il appartient. Le musée se doit en effet d’intéresser ces différents publics et de les impliquer dans les différentes activités proposées, comme celles destinées aux enfants et aux écoles. Au cœur d’une région, un musée comme celui de Pully a aussi un rôle culturel au sens large, lieu de rencontres, lieu de dialogues, lieu de savoirs. En conclusion, relevons qu’aujourd’hui la médiation, ainsi que la communication au sens large ont pris une place prépondérante dans la vie quotidienne des musées. Ils ont la nécessité de diffuser largement leurs activités, que ce soit par le biais de la presse, de l’affichage, des invitations. L’impact doit être de plus en plus grand, pour se démarquer et se faire remarquer.

Aujourd’hui, les activités pour le public sont de plus en plus présentes, souhaitées à la fois par le public qui aime découvrir et apprendre de manière ludique et créative, et par l’autorité politique qui doit justifier les moyens mis à disposition des institutions culturelles. Reste au musée – et en particulier ceux de dimensions moyennes en terme de budget et de personnel comme celui de Pully – à trouver un équilibre entre sa mission scientifique et sa mission d’éducation, et à réussir la stimulante équation entre un musée pensant et un musée vivant.

Didier Rittener, un parcours artistique en quelques dates clés

L’exemple de Didier Rittener (né en 1969) illustre bien, au travers de quelques dates charnières ici résumées, les opportunités et les étapes importantes qui jalonnent le parcours possible d’un artiste romand. De l’espace d’art à la galerie, du centre d’art au musée, les projets se succèdent et gagnent en visibilité. Le musée à vocation régionale, tel le Musée de Pully, constitue l’un de ces paliers. C’est l’occasion d’exposer et d’être visible dans sa région, même si, comme c’est le cas pour Didier Rittener, la carrière se développe principalement sur les plans nationaux et internationaux.

Il n’y a pas de formule magique, et chaque parcours demeure unique, fait d’occasions et de rencontres

Didier Rittener vit et travaille à Lausanne et mène sa carrière sur les scènes suisse et étrangères – en Europe principalement –, entre expositions personnelles en institutions, publications et présentations en galeries.

Tout débute en 1996, après le diplôme de l’ECAL, par la première exposition personnelle (avec Ignazio Bettua et François Kohler) au défunt Centre d’art visuel de Lausanne. Les expositions, personnelles ou collectives, s’enchaînent ensuite avec une grande régularité. Le canton de Vaud dispose de l’atelier du 700e à Paris, Didier Rittener y obtient une résidence en 1997. Cet « exil » artistique lui permet de nouer des contacts internationaux qui seront marquants pour la diffusion de son travail. En parallèle, dès 1998, il organise au sein du collectif Circuit des expositions qui seront également des relais importants et l’occasion de rencontres qui déboucheront souvent sur des collaborations avec des centres d’art suisses et étrangers, des artistes et des curateurs.

Les prix artistiques et les bourses sont des moteurs majeurs dans la carrière d’un jeune artiste. Didier Rittener gagne en 2004 le Prix fédéral d’art. Cette distinction lui offre une visibilité dans les pays limitrophes que sont l’Allemagne, la France et l’Italie. L’histoire se répète en 2005 et 2006, et dans la foulée il décroche le Prix Manor (2005), suivi de l’exposition Eccentric Society qui est accompagnée d’un catalogue. Sa reconnaissance sur le plan national grandit. Dès 2005, il réalise sa première exposition personnelle dans un lieu d’envergure à l’étranger, le Crédac à Ivry, puis en 2007 Storm Breeder, un projet global remarqué à Attitudes, qui apporte à Didier Rittener une diffusion toujours plus large. En 2009, il revient en terre vaudoise avec Disparaître ici (du 5 mars au 24 mai) au Musée de Pully. Cette exposition sera le point de départ d’une monographie exhaustive dirigée par Federica Martini, co-commissaire de l’exposition à Pully. Il est prévu que Disparaître ici voyage, et que le Musée de Pully inaugure ainsi des collaborations avec d’autres institutions prêtes à accueillir ce projet.

Il n’y a pas de formule magique, et chaque parcours demeure unique, fait d’occasions et de rencontres. Mais les ingrédients fondamentaux restent, encore et toujours, la régularité dans la présence médiatique, le travail efficace et engagé d’une grande galerie pour la diffusion, la promotion et l’aspect commercial, ainsi que la parution d’ouvrages de référence. Le tout saupoudré d’un zeste de patience…