L’épineuse question du droit d’auteur à l’ère Internet

Numéro 24 – Décembre 2009

Le sujet paraît être un serpent de mer, mais de fait il faut garder raison et reprendre les données de ce problème depuis le début. La loi sur le droit d’auteur (notamment en Suisse) est claire et suffisante. La propriété intellectuelle est une propriété privée qui doit être protégée comme toute autre propriété.

L’évolution des utilisations liées aux nouvelles technologies a amené le législateur à diminuer, sinon même à supprimer, certaines protections de cette propriété. Pour cela, la loi prévoit des « droits à rémunérations » ou des « licences légales », qui permettent en contrepartie d’une perte de certains droits inhérents à la propriété, de compenser partiellement les auteurs.

Le réseau Internet permet d’accéder à une quantité de données quasiment illimitées. Certaines de ces données sont gratuites, d’autres payantes. Ces données ne sont pas toutes des œuvres, telles que définies dans la loi sur le droit d’auteur. Le droit à l’information ne permet pas de justifier l’accès gratuit à toutes les données disponibles sur le réseau Internet.

La technique permet de contourner quasiment tous les systèmes de protection, mais elle ne peut pas pour autant justifier cette action. Ce n’est pas parce que vous avez pu faire un passe d’une clé de voiture que vous avez le droit de l’utiliser.

Sur Internet c’est bien le même problème. Même si beaucoup d’œuvres sont accessibles gratuitement, de par la volonté de leurs auteurs, beaucoup d’autres sont accessibles, mais contre une rémunération. Contourner cette rétribution est simplement du vol. Personne n’aurait l’idée d’aller chez un libraire et de prendre un livre sans le payer en se justifiant d’un droit universel à l’information.

Le réalisateur Milos Forman, dans une récente déclaration, compare le comportement de certains internautes à la logique d’un acheteur dans un supermarché qui, en obtenant un sac en papier gratuit, affirme que tout son contenu doit l’être également.

En France, le législateur a cherché des propositions concrètes pour lutter contre ces abus. En final c’est la loi HADOPI 2 qui a été votée et devrait permettre de freiner sensiblement l’évolution des habitudes de consommation basées sur des actions illégales. Cette solution proposée par les Français est originale et devrait permettre une approche un tant soit peu différente de l’application des sanctions pénales.

Je dois avouer que le premier projet (rejeté par le Conseil Constitutionnel français), avait le grand mérite de ne pas dramatiser la sanction qui était prononcée par une autorité administrative : le fautif ne se retrouvait pas face à un juge avec tout le cortège répressif qu’implique une audience de tribunal. L’aspect administratif de ce projet de loi a été modifié, et finalement le contrevenant se retrouvera devant un tribunal.

L’auteur traditionnel, qui vit de l’exploitation de son œuvre, ne peut pas se permettre de la mettre à disposition gratuitement

À la base, il est hypocrite d’être d’accord de protéger la propriété privée par des lois, puis après de tout faire pour éviter que la violation des ces lois soit poursuivie. Sinon, on abroge ces lois, et on décide qu’il n’y a plus de propriété privée.

Il faudra à ce moment se poser sérieusement la question de comment les artistes et auteurs seront rémunérés : le mécénat des siècles passés fait partie de l’histoire. Voudra-t-on alors que ce soit à l’État de financer, et donc de salarier les auteurs ? Cela nous rappelle de sinistre mémoire des dictatures du siècle passé…

L’argumentation facile, qui est de dire qu’Internet est un instrument universel d’information et doit donc être gratuit, me semble un tant soit peu court. Internet permet effectivement de faire des recherches très étendues, et sans limites de territoires, mais ces informations sont tous sauf sûres et garanties… L’outil est fabuleux, mais à prendre avec beaucoup de précaution.

Cependant, Internet permet aussi d’accéder à une quantité incroyable d’œuvres de tous genres gratuitement ou moyennant paiement. Et c’est bien là que le problème se pose. Si, effectivement, certaines œuvres ont tout intérêt à être disponibles gratuitement pour le plus large public possible, d’autres par contre permettent la rémunération de leurs auteurs, et donc leur survie artistique. Ainsi pour un académicien, plus ses écrits seront diffusés largement, mieux ce sera pour sa carrière : son salaire lui est assuré par son université, et plus il sera célèbre et connu, plus il pourra prétendre à un salaire important.

L’auteur traditionnel, qui vit de l’exploitation de son œuvre (écrivain, réalisateur, compositeur, scénariste, etc.), ne peut pas se permettre de la mettre à disposition gratuitement.

Les auteurs qui actuellement se permettent de mettre gratuitement leurs œuvres à disposition sur Internet sont soit des artistes largement reconnus (ne dépendant plus des revenus financiers de leurs œuvres), soit des artistes qui veulent se faire connaître…

Internet a tendance à remplacer les utilisations traditionnelles des œuvres. Si demain les télévisions et radios ne diffuseront plus que par Internet, si les supports physiques tels que CD et DVD ou Blue ray auront disparu, et seront remplacés par un accès via Internet aux banques de données des œuvres et si ces utilisations seront gratuites, comment les auteurs seront-ils payés ? Par qui ?

Personne n’aurait l’idée d’aller chez un libraire et de prendre un livre sans le payer en se justifiant d’un droit universel à l’information

Certains lancent l’idée d’une licence globale pour les utilisateurs d’Internet : cette idée devrait théoriquement faire plaisir aux sociétés de gestion collective, mais aussi bien son application, notamment la répartition de cette manne aux auteurs ainsi que la perte du droit exclusif que l’auteur a sur son œuvre devrait nous faire réfléchir sur les conséquences délicates de ce genre d’outil. Aussi, ceux qui n’utilisent Internet que pour leur communication et ne téléchargent pas d’œuvres ne seraient sûrement pas ravis de devoir payer une licence globale pour des œuvres que d’autres utilisent.

Un des fonds de ce problème est le fait qu’il y a une grande confusion : l’information n’est pas la même chose que le divertissement ou les loisirs. Le droit aux loisirs et au divertissement serait une nouvelle donne pour notre civilisation.

Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, le droit d’auteur n’est pas l’arme de Big Brother, ni l’outil de vieux dinosaures, mais simplement le moyen de rémunérer et de faire vivre les auteurs dans leur diversité culturelle. Nous avons tous à y gagner.