Droit de réponse
L’article de Marco Polli sur la réforme de la loi genevoise sur l’encouragement à la culture (CultureEnJeu n°27) ayant suscité de vives réactions dans certains milieux professionnels et politiques, CultureEnJeu informe ses lecteurs que, dans la hâte du bouclage, cet article n’a pas été soumis à l’ensemble de la rédaction, contrairement aux habitudes de notre périodique. Nous publions donc ci-dessous trois interventions donnant la parole au comité du Rassemblement des artistes et acteurs culturels de Genève (RAAC), au Parti socialiste (PS) genevois – sous les signatures du président du PS Ville de Genève, M. Grégoire Carasso, et du vice-président du PS du canton de Genève, M. Pascal Holenweg – ainsi qu’au cinéaste Frédéric Gonseth.
Accueil favorable du projet issu de la CELAC tout en en mesurant les risques
Le Parti socialiste a salué, sans illusions excessives, l’avant-projet de loi sur la culture issu des travaux de la commission d’experts (CELAC). En effet, cet avant-projet exprime, sur le fond, une position défendue depuis des années par les socialistes et par les milieux culturels regroupés dans le RAAC – dont à notre connaissance nul n’a jamais affirmé qu’il était à lui seul le représentant attitré de toutes celles et ceux qui, à un titre ou un autre, dans un domaine ou un autre, professionnellement ou en amateurs, sont des acteurs culturels.
Cette position de principe tient, pour l’essentiel, en trois points :
- le partage (et non le transfert) des tâches et des charges (le « faire
ensemble ») entre toutes les communes et le canton, le respect de la
règle « pas de compétence sans charge, pas de charge sans compétence » - l’ouverture aux communes vaudoises et françaises de la région
- un plus grand engagement, une plus grande responsabilité, une plus grande présence du canton – mais sans que ce renforcement se traduise, comme si on était dans un jeu à somme nulle, par un affaiblissement de l’engagement, de la responsabilité et de la présence de la Ville.
Cet accueil favorable du projet issu de la CELAC n’implique cependant pas
que nous refusions d’en voir les risques : il ne saurait par exemple être question pour les socialistes d’accepter qu’un renforcement de l’action culturelle du canton soit « payé » d’un affaiblissement de celui des communes, et en particulier de celui de la Ville. Les nouveaux engagements cantonaux doivent s’ajouter à ceux déjà assumés par la Ville et les communes, non s’y substituer. Nous n’avons pas combattu, avec les milieux culturels, un transfert de charge dans un sens pour en accepter un dans l’autre sens, et passer du « qui paie commande » qui résume la situation actuelle, à un « je commande, tu paies » en quoi pourrait se réduire l’octroi au canton de compétences légales sans moyens de les concrétiser. Un engagement du canton dans la politique culturelle ne vaudrait que ce que valent les bonnes intentions dont est pavé l’enfer d’un champ culturel administré « d’en haut », c’est-à-dire pas grand-chose, si cet engagement se résumait à la production d’ukases tombant sur les communes comme la vérole sur le bas-clergé breton. D’ailleurs, même si les moyens accordés au canton pour sa politique culturelle équivalaient aux 2 % de ses dépenses annuelles, ces moyens resteraient encore largement inférieurs à ceux que la seule Ville de Genève consacre à sa propre politique culturelle.
Pour rompre le face-à-face Ville-canton, il faut aussi que toutes les autres
collectivités publiques soient partie prenante. Toutes, et surtout celles qui, aujourd’hui, s’en excluent délibérément. Genève, au sens le plus restrictif (sans tenir compte de la part vaudoise et de la part française de la région genevoise), c’est 46 espaces institutionnels : 45 communes, et le canton. Sur le terrain de la politique culturelle, de ces 46 acteurs, 35 sont quasi-absents, 10 sont présents (dont le canton), un est omniprésent (la Ville). Les communes doivent toutes participer matériellement à l’action culturelle publique : celles qui y participent déjà beaucoup ne doivent pas réduire leur engagement, celles qui y participent peu doivent l’accroître, celles qui n’y participent pas doivent le faire. Ainsi, la Ville de Genève pourra alors revoir ses priorités et ses disponibilités : de ce qu’elle affecte actuellement aux grandes institutions, elle pourra distraire une partie pour l’affecter à
la culture alternative, à l’expérimentation culturelle, à la culture de proximité, aux cultures de l’immigration et aux activités culturelles d’« amateurs », et cela sans avoir à se désinvestir totalement des grandes institutions, puisqu’il n’est jamais bon de ne dépendre que d’« un seul prince ».
Une loi sur la culture – ni l’actuelle, ni celle proposée par la CELAC – n’épuise pas le champ de la politique culturelle : une fois le projet de loi accepté, s’il devait l’être, il faudra passer aux choses sérieuses, et affecter les moyens financiers et humains nécessaires pour que le canton devienne un acteur déterminant de la politique culturelle, aux côtés (et non à la place, et moins encore au-dessus) de la Ville et des autres communes. C’est à ce moment-là que l’on pourra juger de la cohérence des engagements pris et mesurer, à l’aune des moyens accordés à la politique culturelle cantonale, de quoi est faite la belle unanimité rhétorique qui semble se faire autour du principe d’un engagement culturel accru du canton.
En 1758, dans sa « Lettre à M. d’Alembert sur les spectacles », Jean-Jacques disait avoir « fait voir qu’il est absolument impossible qu’un théâtre de comédie se soutienne à Genève par le seul concours des spectateurs. Il faudra donc de deux choses l’une : ou que les riches se cotisent pour le soutenir, charge onéreuse qu’assurément ils ne seront pas d’humeur à supporter longtemps ; ou que l’État s’en mêle et le soutienne à ses propres frais ».
Grégoire Carasso
Conseiller municipal, président du PS Ville de Genève
Pascal Holenweg
Conseiller municipal, vice-président du PS du canton de Genève
Genève : tout n’est pas si ténébreux
Dans le dernier numéro de CultureEnJeu, Marco Polli employait un ton pour le moins inhabituel pour parler du débat à l’intérieur de la culture genevoise, et ignorait purement et simplement tout le secteur du cinéma. En
quelques années de conception et de négociation, l’ensemble de la branche audiovisuelle genevoise est parvenue à mettre en place une fusion des compétences et des moyens de financement. Et cela, non seulement au niveau genevois, mais au niveau romand. Cette fusion qui entrera en vigueur en 2011 sous la forme de la Fondation romande pour le cinéma, regroupe l’aide pratiquée par les deux communes de Genève et Lausanne, par les six cantons romands et par l’apport continu de la Loterie Romande dans certains cantons comme au plan interrégional romand. Elle permet à l’ensemble de la branche cinéma et TV indépendante romande de disposer de moyens accrus, pour un total de 10 millions annuels, et n’aurait en aucun cas pu être menée à bien, notamment sans l’adhésion enthousiaste des deux principaux responsables genevois de la culture – Patrice Mugny pour la Ville et Charles Beer pour le canton. Il semble que ce soit dans l’obscurité des salles que naisse l’espoir. Post Tenebras Lux…
Frédéric Gonseth, cinéaste
Le comité du RAAC récuse fermement ces accusations
Le comité du RAAC (Rassemblement des artistes et acteurs culturels de Genève) a demandé un droit de réponse à l’article de Marco Polli paru dans vos colonnes sous le titre Culture à Genève : un débat confisqué pour une loi émasculée. Il apparaît en effet que, au fil d’un argumentaire aussi biaisé qu’outrancier, M. Polli accuse le RAAC de réunir en son sein des parasites et des opportunistes qui ne viseraient pas la défense des milieux artistiques et culturels, mais bien leur seul intérêt. Il nous importe ainsi de remettre en perspective quelques éléments.
Le RAAC s’est constitué en 2007 au moment où l’État de Genève envisageait d’abandonner toute ses responsabilités en matière culturelle. Cette mobilisation sans précédent des milieux culturels a permis d’établir un dialogue inédit entre les artistes et les acteurs culturels, les services culturels de la Ville, de l’État, des communes et les partis politiques. Le RAAC a organisé une série de trois forums conçus comme un état des lieux des arts et de la culture à Genève. Il a également publié un manifeste intitulé Art, culture et création. Huit propositions en faveur d’une politique culturelle à Genève : un petit livre qui en appelle à la concertation et insiste notamment sur la nécessité d’un meilleur équilibre entre la Ville et l’État en matière d’investissements et de subventionnements culturels.
À la sortie du livre en mai 2009, tous les partis et les acteurs culturels s’accordaient sur cette visée : voir l’État s’engager davantage dans le soutien à la culture, et tout particulièrement dans le soutien aux grandes institutions. Cet objectif ne suppose en aucun cas un recul de la Ville et des communes dans leur engagement envers la culture : il est impossible de lire, dans ce souhait du RAAC de voir l’État appuyer davantage la culture, le souhait d’un retrait de la Ville. Défendre un tel système serait tout simplement suicidaire puisque, on le sait, la Ville de Genève consacre 20 % de son budget à la culture. Ce qui lui confère un remarquable savoir-faire, des infrastructures et une assise qu’il ne s’agit en aucun cas d’annuler. Ce dont il s’agit, c’est de pouvoir, par exemple, mener à bien le chantier de la Nouvelle Comédie en croisant les efforts de la Ville et de l’État. Ou encore de panacher le subventionnement du Grand Théâtre, lequel repose aujourd’hui uniquement sur la Ville. Ce mouvement d’un faire ensemble pour les infrastructures d’envergure prendra certainement du temps, mais il est inéluctable.
Dans la foulée de ces forums et de cette publication, le RAAC s’est constitué en association en 2010, et quelques-uns de ses membres sont engagés (bénévolement) en tant que représentants du RAAC au sein de plateformes ayant trait à la culture, réunissant autorités concernées et artistes et acteurs culturels : une plateforme de concertation sur les espaces culturels (création en novembre 2010) et un groupe de travail sur la prévoyance sociale. Concernant la CELAC (Commission externe chargée de rédiger un avant-projet de loi cantonale pour les arts et la culture), rappelons que les sept représentants des milieux culturels qui y ont siégé ont été invités par le Conseil d’État à titre personnel (la CELAC comptait 21 commissaires), et non pas choisis par le RAAC pour le représenter. Il est sorti des travaux de la CELAC un avant-projet de loi qui sera discuté, amendé, puis adopté (ou pas) par le Grand Conseil dans les mois qui viennent. On voit mal où le débat serait confisqué, pour reprendre les termes de M. Polli. Et encore moins où il serait instrumentalisé par quelques-uns à des fins égoïstes.
Le comité du RAAC récuse fermement ces accusations. L’implication du RAAC dans la réflexion et le débat sur la culture à Genève vise la défense de l’intérêt général et relève de la participation civile la plus élémentaire. C’est-à-dire d’un dialogue et d’une concertation dont tout le monde a applaudi les effets lors des Forums organisés par le RAAC.
Le comité du RAAC