Édito n°3, septembre 2004 – Culture du coup de force ou force de la culture

Numéro 3 – Septembre 2004

Les artistes passant facilement pour de fieffés individualistes, il serait tentant de se dire, dans les sphères dirigeantes, qu’un agglomérat d’artistes ne peut, par définition, donner qu’un chaos informe incapable de cohésion (et donc ce journal ne peut être qu’un fantoche de la Loterie Romande). Mais quand les artistes réussissent à trouver une cohésion, ils découvrent assez vite que la somme de leurs individualités n’est pas nulle – et que leurs prestations additionnées ressemblent à s’y méprendre à un service public.

fullsized
Illustration © 2004, Bruno Racalbuto

Quand elle est au service des grandes économies mondiales, la culture dont ils ne sont que les petits producteurs locaux devient, avec le cinéma, une arme redoutable. Ce n’est pas un missile ou une division blindée, ni un réseau de combattants secrets. C’est l’arme de prédilection pour frapper... les esprits. Jamais l’industrie du tabac n’aurait conquis le monde sans la moue des vedettes tirant sur leur clope au plus fort de l’émotion, dans des milliers de films, durant des décennies !

Si la nécessité d’une compagnie d’aviation nationale laisse le Conseil fédéral dubitatif (question à un milliard), seul un conseiller fédéral sur sept affirme ouvertement vouloir supprimer les subventions à la culture (question à un tiers de milliard). On pourrait donc croire le danger écarté. Mais tandis que les uns louvoient, l’Autre va droit au but. Il annonce la couleur quand ses pairs tamisent. Si aucun de ses six autres collègues n’affiche d’aussi mauvaises intentions, pas un seul ne semble capable de proposer une véritable politique culturelle pouvant s’incarner dans un secrétariat d’État ou, mieux, un vrai Département fédéral, avec un vrai budget pour la culture (un demi-milliard).

Pascal Couchepin, pour sa part, se réjouit dans L’Hebdo de trouver des chefs-d’œuvre sur DVD à 5 francs, astique les pique-assiette de la culture, flingue ses subalternes, renvoie David Streiff. Pendant ce temps, l’Autre pavoise. Pendant ce temps encore, ce temps, le pays est submergé par les produits d’une industrie culturelle mondiale que ses habitants accueillent toujours avec un empressement rappelant la ruée sur les MacDo à leurs débuts, quand les effets de la « mal-bouffe » n’effrayaient encore personne. Faudra-t-il attendre que les créateurs et les saltimbanques de ce pays aient disparu pour s’apercevoir que les artistes locaux produisaient de la culture bio, respectueuse de l’environnement et de l’intégrité des femmes et des hommes d’ici.