Cinéma : toutes les aides romandes regroupées en une seule

Numéro 31 – Septembre 2011

Le 9 juin, un ancien conseiller d’État neuchâtelois pénètre dans le vénérable bâtiment de la HEAD, tout près de la gare de Genève. Il a rendez-vous avec les chefs de la culture cantonale de Genève, Vaud, Valais, et de la culture communale de Genève et Lausanne. C’est un grand jour. Pour la première fois, le destin du cinéma ne se joue plus en solo dans les cantons et les villes romandes, mais autour d’une seule table. Autour de la table sont également conviés d’autres représentants des pouvoirs publics romands et bien sûr les représentants de la branche. Ceux-ci sont en minorité, et ce fut un élément de tension tout au long du chemin menant à la création d’une entité unique rassemblant désormais tous les fonds de soutien à la création existants en Suisse romande.

Mais, aujourd’hui, la tension a visiblement baissé. Il s’agit d’adopter les différents règlements d’aide, préparés initialement au cours d’intenses échanges au sein de la branche, puis avec les pouvoirs publics durant les trois dernières années. Le premier étage de la fusée a été porté à bout de bras par le producteur Thierry Spicher et le directeur du Fonds REGIO, Jean-Michel Cruchet ; mais, depuis un an, les producteurs ont désigné leurs futurs représentants au conseil de la nouvelle fondation, et ce sont eux qui ont mené les négociations à leur terme. Non sans difficulté, si grande était leur inquiétude de voir l’instrument leur échapper. Il faut dire que l’effort des pouvoirs publics est appréciable. En concevant un fonds de 10 millions, les producteurs ont placé pour tous les partenaires cantonaux et communaux la barre à la hauteur du plus avancé de tous : la Ville de Genève. Pour le Canton de Genève, et encore plus pour le Canton de Vaud, cela signifiait une augmentation considérable. Il a fallu convaincre les magistrats, puis les parlements – et pour le Canton de Vaud, il reste une tranche de plusieurs centaines de milliers de francs à faire ratifier par le Grand Conseil pour 2012.
Les producteurs étaient également inquiets de voir le principal instrument de soutien régional à leurs films, qu’ils géraient eux-mêmes depuis une dizaine d’années, passer sous le contrôle de la nouvelle fondation. Le Fonds REGIO est en effet absorbé par la nouvelle structure et devient dès 2012 la nouvelle « aide complémentaire » de la Fondation Romande pour le Cinéma. C’est l’aide la plus précieuse dans la mesure où elle représente, dans le cas des films les plus importants, un pilier régional d’environ un quart du budget, consolidant les subsides accordés après sélection par la section cinéma de l’Office fédéral de la Culture ou / et par la Télévision suisse. À l’intérieur de la nouvelle structure, cette aide REGIO, devenue « aide complémentaire » de la nouvelle entité, saura-t-elle conserver la priorité, ou se verra-t-elle grignotée par la nouvelle venue, la séduisante et novatrice « aide sélective » ?

Les producteurs ont désigné leurs futurs représentants au conseil de la nouvelle fondation : ce sont eux qui ont mené les négociations à terme.

Le 9 juin, là aussi, une grande partie de la tension est retombée. En décidant non seulement de confier à un membre de la profession le mandat de lancer la fondation au second semestre 2011, le nouveau conseil de fondation de la FROMCI (Fondation romande du cinéma) a également adopté le principe de ne jamais imposer aux représentants de la branche une majorité simple pour légiférer sur les grandes questions de répartition des moyens entre les deux types d’aide, mais de s’astreindre à une majorité de 80 %.
Dans les semaines qui ont suivi, le bureau de la fondation a désigné, sur un court appel d’offres au sein de la profession, le producteur Robert Boner comme secrétaire général ad interim jusqu’à fin 2011. À charge pour lui de mettre en place la structure administrative et surtout de permettre au double jury de > < siéger pour les deux premières sessions d’aide sélective de la nouvelle Fondation Romande pour le Cinéma. Très rapidement, les postes de direction seront mis au concours (secrétaire général, directeur de l’aide sélective, directeur de l’aide complémentaire).
Les nouveautés s’enchaînent. Dès aujourd’hui, les petits projets de films ne pourront plus être déposés dans les villes et les cantons de Suisse romande, mais uniquement lors d’un grand concours qui aura lieu quatre fois par année au niveau de toute la Suisse romande. La concurrence sera rude entre des projets habitués jusque-là à concourir uniquement contre des projets de proximité. Mais le jeu en vaudra la chandelle : au lieu de solliciter un appoint variant entre 10 % et 30 % de leur budget, les films retenus obtiendront un subside équivalent à 60 % du budget, qui leur donnera les moyens de se lancer quasiment sans délai dans la production !
Pour que des films puissent être aidés de manière aussi efficace, il est nécessaire de les trier – d’où le jury –, mais il est aussi nécessaire de limiter cette offre à des films dont le budget est plafonné dans chacune des catégories de fiction, documentaire, animation, court-métrage. Pour un film de fiction, ce plafond est à 1’250’000 francs pour le financement suisse ; pour un documentaire à 350’000 francs ; il s’agit grosso modo d’au maximum la moitié d’un budget normal pour chacun des genres de film. Au-dessus de ces plafonds, les films n’entrent pas dans le processus de sélection : ils obtiennent l’aide complémentaire, dotée en 2011 de 5 millions de francs, dont l’essentiel provient de la Loterie Romande. La « province » romande se montre audacieuse : elle abolit ses frontières cantonales en matière de cinéma, elle permet l’apparition d’un nouveau type de films professionnels à petit budget, sur des sujets et des thèmes qui n’auront pas eu à convaincre les experts fédéraux, mais seulement un double jury romand, un jury de producteurs appelés à émettre une recommandation quant à leur « faisabilité », et un jury plus classique de professionnels, qui tranchera.
Aux premières de ces films, dès 2012, verra-t-on la naissance d’une nouvelle vague ambitieuse ?