Comme ça, vous voulez être comédien(ne) ?

Numéro 32 – Décembre 2011

Prospects, « site officiel des diplômés » de Grande-Bretagne, décrit une centaine de professions pour en explorer les chances et servir d’intermédiaire pour le recrutement. Pour chaque profession, Prospects a établi une fiche, une « job description ».

Voici ce qui est dit de la profession de comédien (actor) [1].
« Un comédien communique un personnage et/ou des situations à un public par la parole, le langage corporel et le mouvement. Cela implique généralement qu’on interprète le travail d’un écrivain sous la direction et avec l’aide d’un metteur en scène ou d’un réalisateur, bien que parfois le travail demande que l’acteur crée le personnage ou improvise ses réactions dans une situation donnée.

Le travail est très varié, il peut s’agir de pièces de théâtre, d’opérettes, de soaps, de radio, de cinéma… Le travail de l’acteur inclut enseignement, entraînement, thérapie autant que divertissement proprement dit.

Une carrière d’acteur implique inévitablement des périodes de chômage total ou partiel pendant lesquelles il travaillera dans d’autres professions. »

Une carrière d’acteur implique inévitablement des périodes de chômage pendant lesquelles il travaillera dans d’autres professions.

Suit une liste d’activités typiques liées au travail du comédien. Cela commence par « chercher du travail et se créer un réseau », cela passe par répétitions, représentations, tournages, sonorisation de publicités, pour aboutir à des occupations du genre « Monsieur Loyal dans un cirque » ou « guide touristique incarnant un personnage historique ». Et cela se conclut ainsi :

« Il est essentiel de réaliser qu’un acteur passe environ 80 % de sa vie active à attendre (c’est-à-dire qu’il n’est pas employé comme acteur), il est donc important pour lui d’avoir d’autres occupations et d’autres sources de revenus. »

Suivent des considérations sur les conditions de travail, nous n’en retiendrons que deux :

« Rares sont ceux qui s’enrichissent en étant comédiens, bien que pour quelques-uns les cachets soient considérables. Les salaires ne sont généralement pas proportionnels à l’expérience, et le rapport entre acharnement au travail ou talent et gains est parfois très ténu.

Les journées de travail sont longues, et les horaires antisociaux. »[2]

De quoi décourager les plus aguerris.

Les jeunes gens, talentueux ou non, qui fréquentent une école d’art dramatique puis ne trouvent jamais d’engagement, les comédiens et comédiennes expérimentés qui n’en trouvent plus sont légion. Et pourtant, le nombre de personnes qui voudraient embrasser la carrière de comédien reste considérable. Pourquoi ?

Il est essentiel de réaliser qu’un comédien passe 80 % de son temps à attendre, ou à chercher, du travail.

Tous comédiens [3]

« On ne naît pas femme, on le devient », écrivait Simone de Beauvoir. On pourrait inverser le propos et l’adapter : « Tout le monde naît comédien, et certains désapprennent, deviennent autre chose en canalisant dans d’autres activités leur propension au jeu théâtral. »

Trois facteurs contribuent à l’existence des acteurs.

Il y a tout d’abord le désir des humains de voir des spectacles, d’assister à des événements synthétisés, qui procurent un plaisir esthétique, religieux, intellectuel, affectif. Ce désir-là est aussi ancien que l’humanité. Dans la culture mondiale, le théâtre est depuis des millénaires l’art le plus fort, le plus intense, le plus riche.

C’est sans doute cette force, cette richesse, qui ont fait surgir l’envie, chez certains, d’en être les protagonistes[4]. Cela représente le deuxième facteur.

La profession de comédien est ardue, semée d’embûches, demande de grands sacrifices, et pourtant innombrables sont ceux qui rêvent de « faire du théâtre ».

Et ici intervient le troisième facteur, qui est en fait le plus fort de tous : la psychologie enfantine (nous utilisons ici ce terme, faute de mieux, pour exprimer ce que tous les enfants ont en commun). Lorsque l’enfant prend conscience de son existence, le monde lui appartient. Les adultes sont à son service, il suffit d’un cri pour qu’on l’entoure, d’un sourire pour qu’on s’occupe de lui. « Il fait son théâtre », dit-on communément d’un enfant qui se comporte ainsi.

Plusieurs comédiens devenus célèbres relatent dans leur autobiographie une scène dans laquelle, pour la première fois, ils se sont rendu compte que les autres n’étaient pas là exclusivement pour eux : l’acteur et dramaturge anglais Noël Coward par exemple, raconte comment, alors qu’il avait trois ou quatre ans, il est un jour allé à l’église avec ses parents. À l’instant où il entrait, l’orgue attaquait un morceau de musique. Il s’est aussitôt mis à danser : c’était la moindre des choses, puisqu’on jouait pour lui[5]. Lorsque ses parents l’ont arrêté, et lui ont expliqué la situation, il a « fait le premier pas vers son âge adulte ». On trouve des exemples de ce genre dans l’enfance de nombreux acteurs et actrices.

L’enfant est roi dans son royaume, et ce n’est pas volontiers qu’il renonce à son pouvoir ; la vie pousse bientôt la majorité d’entre nous vers les réalités de l’existence. Mais la minorité chez qui, pour une raison ou une autre, le rêve persiste représente néanmoins un nombre impressionnant de jeunes gens et de jeunes filles ; l’intelligence, l’imagination, la créativité, la ténacité leur permettront d’entrer dans un domaine où ils pourront attirer l’attention, non plus par quelques gargouillements et quelques sourires, mais en jouant des rôles, et en redevenant le centre de l’attention : le monde du spectacle.

La profession de comédien est ardue, et pourtant innombrables sont ceux qui rêvent de faire du théâtre.

Comédien, c’est une profession qui s’apprend, être un bon acteur, cela ne s’improvise pas ; même parmi ceux chez qui le rêve d’être acteur reste vivant, les rangs se raréfient lorsqu’il s’agit de vraiment s’y mettre. Car transformer le narcissisme enfantin en talent, et en performance, cela demande énormément de travail sur tous les plans – travail sur soi autant que sur les textes. Ceux qui deviendront de véritables professionnels seront finalement en relativement petit nombre. Mais la profession garde aux yeux de la population tout entière un halo, un arrière-goût d’enfance qui font qu’on lui prête une attention particulière (« jeu » ou « jouer » sont des mots communs aux occupations enfantines et au travail théâtral). Et c’est là qu’interviennent les malentendus.

La vedette

Pour la grande masse des comédiens, le théâtre, le cinéma, la télévision, le spectacle en général, représentent un travail intermittent, jamais assuré, à côté duquel ils doivent le plus souvent s’arranger pour faire autre chose s’ils veulent nouer les deux bouts : comme nous le disions plus haut, on considère qu’un comédien passe 80 % de son temps à attendre, ou à chercher, du travail. Mais il y a la minorité. À notre époque de communication globale, c’est essentiellement au cinéma qu’on trouve les comédiens qui font fortune. Le cinéma est un art pour bon nombre de ceux qui le font et pour bon nombre de ceux qui le consomment, mais pour ceux qui le produisent, c’est généralement un produit commercial. Il faut donc des arguments de vente, et le meilleur des arguments, ce sont les comédiens vedettes, plus rarement le réalisateur, et encore plus rarement l’opérateur ou le compositeur de musique, qu’il s’agit de monopoliser. On en vient donc à en payer certains des prix faramineux pour faire en sorte que les concurrents réfléchissent à deux fois avant de débourser des sommes astronomiques.

Johnny Depp a touché 40 millions de dollars pour jouer dans Pirate des Caraïbes. À une journaliste qui lui demandait s’il pensait mériter un tel salaire, il répondait : « Si ces gens veulent gaspiller leurs ridicules millions, je les prends. Ne nous perdons pas en conjectures pour savoir si oui ou non je les mérite : de toute évidence, en tant qu’acteur je ne les mérite pas. Je les vaux en tant qu’espace publicitaire. »

Parce que chacun de nous porte quelque chose du comédien en lui, on a souvent l’illusion que faire du théâtre ou du cinéma, c’est facile. Et parce qu’ici, comme dans d’autres professions, le système du vedettariat règne en maître, l’illusion n’est jamais très loin qu’il suffit de se faire remarquer par un producteur, par un réalisateur, par un directeur de théâtre, pour que sa fortune soit faite. En réalité, ceux qui sont arrivés à une notoriété durable par ce moyen sont rarissimes, et ceux qui sont restés célèbres au-delà d’un coup de chance sont encore plus rares.

Vous faites quoi, dans la vie ?

Tous ceux qui ont répondu : « Je suis comédien, danseur », et ainsi de suite, se sont vu rétorquer une fois ou l’autre : « Oui, d’accord, mais votre profession, c’est quoi ? »

Parce qu’il y a chez chacun de nous le souvenir lointain de l’époque où nous étions nous-mêmes spontanément acteurs, il semble impossible à l’homme de la rue d’accepter que ces professions qui ont par ailleurs pour but de divertir soient un travail.

Et pourtant, c’est un travail très complexe : car l’acteur non seulement apprend des techniques et se met au service des auteurs et du public littéralement jour et nuit (la nuit sur scène, le jour en répétant, en essayant des costumes, en cherchant le prochain job, etc.), mais il essaie dans tout cela de garder un équilibre entre cet enfant en lui qu’il n’a pas oublié, qu’il a cultivé, et qui l’aide à jouer sur scène ou devant la caméra, et les réalités économiques.

Comédien, c’est une profession qui s’apprend. Être un bon acteur, cela ne s’improvise pas.

Est-ce que les difficultés valent la chandelle ? Heureusement pour nous spectateurs, les acteurs qui persistent répondent : oui.

Un des comédiens que j’ai consultés pour écrire ce texte m’a dit : « S’il est vrai qu’en tant que comédiens nous avons su préserver un coin d’enfance, il est tout aussi vrai que nous tentons de le restituer à notre public, que nous lui montrons ce qu’on peut en faire. En somme, nous travaillons pour la communauté. »

Dans ce sens, on peut dire qu’un comédien, c’est la voix de la société toute entière.

Nombreux sont ceux qui réclament cet honneur : dans une société essentiellement marchande, rares sont ceux qui l’atteignent. Et pourtant, nombreux sont ceux qui persistent.

C’est peut-être parce que les rêves qu’on a faits à l’aube de la vie sont difficiles, impossibles même, à effacer[6].

[#1] Nous utilisons ici « comédien » et « acteur » au sens neutre, il va de soi que nous parlons de comédiens et de comédiennes, d’acteurs et d’actrices.

[#2] www.prospects.ac.uk/actor (c’est moi qui traduis). Ce tour d’horizon n’est pas réservé à la Grande-Bretagne, il est valable partout.

[#3] Par commodité, j’emploie ici le terme de « comédien » ou « acteur », mais cela inclut tous les interprètes (chanteurs, danseurs, musiciens, etc.).

[#4] Le premier acteur protagoniste enregistré par l’histoire est le grec Thespis (ou Thespus), qui jouait vers 535 avant notre ère.

[#5] Noël Coward, Present Indicative, Londres 1937

[#6] Ce texte est basé sur la lecture d’autobiographies et sur des interviews de comédiens, lues ou recueillies personnellement.