Rencontre avec Sylviane Friederich

Numéro 33 – Février 2012

Ne tournons pas la page des librairies indépendantes ! La vie des librairies indépendantes romandes est de moins en moins facile. Preuve simple : elles ferment les unes après les autres. Les gens du métier ont trouvé une solution qui enrayerait cette épidémie : adopter une loi sur la réglementation du prix du livre. Sylviane Friederich, libraire depuis 42 ans, a pris le temps de nous en expliquer les tenants et les aboutissants.

Depuis l’obtention de son CFC de libraire en 1970, Sylviane Friederich a consacré sa vie au monde du livre. Depuis quelques années, elle est à la tête de La Librairie à Morges, endroit idyllique pour les amoureux de la lecture. Remarquée pour son engagement dans la branche, elle est aujourd’hui secrétaire générale de l’Association Internationale des Libraires Francophones (AILF). Jusqu’en 2011, elle fut également présidente de l’Association Suisse des Diffuseurs, Éditeurs et Libraires (ASDEL), association se battant depuis de nombreuses années pour cette loi.

En votant OUI à cette réglementation, le peuple suisse aidera à assurer la pérennité de la chaîne du livre. « Au contraire des grands commerces, les libraires indépendants ne peuvent pas se permettre de casser les prix », affirme l’ex-présidente de l’ASDEL. Si la Loi passe, le lecteur pourra acheter un ouvrage au même prix dans une grande surface ou dans une petite librairie de village. Les indépendants auront encore l’occasion de faire découvrir une grande variété de choix de lectures, de partager leurs goûts et ne se contenteront pas de vendre exclusivement des best-sellers pour perdurer. De plus, le lecteur ne doit pas oublier que ce sont les petites librairies qui mettent en avant le travail des jeunes auteurs. Quel éditeur prendra le risque de publier l’ouvrage d’un inconnu et quelle librairie le commandera s’ils ne sont pas certains de le vendre ? Que ce soit au niveau de l’auteur, de l’éditeur ou du libraire, cette loi est indispensable à la richesse et la diversité du livre.

Depuis la chute de l’euro, le mécontentement des lecteurs concernant les tarifs excessifs de certains ouvrages se fait entendre. Face à la plainte d’un client, Sylviane Friederich répond que la faute est due à quelques diffuseurs appliquant des prix abusifs et non des libraires romands, impuissants face à ce phénomène. Certains lecteurs préfèrent alors acheter leurs livres via des sites Internet ou se fournir directement en France. La directrice de La Librairie rétorque que les lecteurs sont confrontés à d’autres problèmes : Internet ne donne aucune consultation, ni conseils ni possibilité d’échange, et acheter à l’étranger exige plus de dépenses en essence et en temps. Face à une réglementation du prix du livre, les diffuseurs ne pourraient plus se permettre de tels excès.

Que ce soit au niveau de l’auteur, de l’éditeur ou du libraire, cette loi est indispensable à la diversité du livre.

La polémique médiatique déclenchée par la décision du directeur des librairies Payot de ne plus s’approvisionner auprès des diffuseurs suisses ne devrait pas supplanter le débat concernant les prochaines votations. En effet, selon Sylviane Friederich, les médias ont fait l’amalgame entre les diminutions des prix annoncés par Payot et la Loi sur le prix unique du livre. « Il ne faut pas tout mélanger : d’un côté, il y a l’approvisionnement et de l’autre, la réglementation du prix du livre. » Même si les libraires se fournissent directement chez les éditeurs, il y aura toujours des inégalités de remises entre petits et grands commerces. La solution proposée par Payot pose d’autres problèmes : les librairies pourront-elles commander n’importe quel ouvrage comme c’est le cas en ce moment ? Un auteur sera-t-il certain que son livre sera vendu partout ? Le lecteur saura-t-il où aller pour acheter tel recueil ? Quel sera le temps de livraison ? Etc. De plus, si les libraires indépendants veulent suivre l’exemple de Payot, ils devront se regrouper, ce qui prendra du temps et beaucoup de forces vives. Cette nouvelle proposition d’approvisionnement n’est, pour le moment, qu’une musique d’avenir, mais la Loi sur le prix unique du livre, elle, est essentielle.

Il est indispensable que le peuple vote en faveur de la Loi. Si tel n’est pas le cas, « ce sera le chaos général », craint Sylviane Friederich. Les petites librairies indépendantes continueront à disparaître, les lecteurs n’auront plus la certitude de pouvoir obtenir leurs ouvrages partout et ne bénéficieront plus du même service à la clientèle. La chaîne du livre en sera bouleversée entraînant un manque culturel certain.