Honni soit qui mal y pense !

Numéro 34 – Juin 2012

Lassé de la domination pratiquement sans partage depuis 150 ans de la cité sur le paysage culturel de l’État, le Souverain cantonal demanda un jour de l’an 2011 à ses Grands commis gérant les Grandes Institutions culturelles de la République, de lui confectionner un Grand Projet de loi qui lui permettrait de reprendre la main. Il s’agirait en particulier de valoriser l’Excellence, de promouvoir sa meilleure Gouvernance des institutions d’intérêt stratégique, de garantir sa compétitivité et son ambition. Le Chef-Thuriféraire chargé de  l’exposé des motifs pour informer les Conseillers devant adopter le projet, leur tint à peu près ce langage…

Oyez, oyez bonnes gens! Il est temps que l’État renforce son rôle en matière de culture, qu’il marque sa volonté de mettre en œuvre une politique culturelle ambitieuse, et, enfin, qu’il se dote des ressources nécessaires pour remplir cette mission. Plus que jamais, la dimension culturelle est un grand enjeu de compétitivité sur la scène nationale et internationale. Loin de pouvoir se reposer sur ses acquis ou ses potentiels, l’État doit encore poursuivre et renforcer son engagement en matière culturelle et développer son rayonnement dans ce domaine. C’est pourquoi notre projet de loi préconise le rassemblement autour d’une vision concertée, cohérente et d’une redistribution des rôles permettant de créer les conditions favorables à l’excellence culturelle.

Pour renforcer son engagement dans le domaine de la culture, l’État doit prendre une part plus active à la gouvernance d’institutions d’importance cantonale, augmenter sa contribution financière et affirmer sa volonté de soutenir et de financer les institutions d’intérêt stratégique. Il y a intérêt stratégique pour le canton lorsqu’une institution cumule plusieurs des caractéristiques suivantes : la contribution aux échanges culturels sur le plan national et international, une large provenance du public (qui doit venir non seulement de tout le canton, mais aussi de l’étranger), un positionnement unique en son genre, ainsi qu’une forte capacité à créer l’émulation dans son domaine artistique.

Pour définir les institutions concernées, le Souverain cantonal se fonde, au-delà des critères quantitatifs, sur trois qualités :

  • l’ambition
  • l’excellence
  • le rayonnement


Il se réserve le droit de déterminer lui-même, en fonction de sa vision pour la République et son rayonnement, les institutions culturelles qu’il propose de soutenir de façon prépondérante.

On veillera, bien entendu, à ce que la gouvernance des grandes institutions soit adéquate, efficace, et réserve une place suffisante aux experts.

Ben voyons !


Tous les éléments en italique sont extraits de l’exposé des motifs d’un Projet de loi sur la culture mis en consultation par le Conseil d’État genevois dans le but de remplacer la Loi sur l’accès et l’encouragement de la culture (LAEC) en vigueur depuis 1996. Or la LAEC a été l’aboutissement, la formalisation légale d’une mobilisation culturelle sans précédent dans l’esprit des Jean Vilar, du théâtre Mobile, de la musique alternative, qui a débuté dans les années 1970, relayée par une politique volontariste de la Ville ouvrant des lieux de culture nouveaux, maisons de quartier, Usine, parfumerie, pour aller au devant de publics plus larges, populaires, de jeunes. Dans son intitulé et dans sa définition de la culture, la LAEC anticipe d’une dizaine d’années ce qui sera consigné de haute lutte dans la Convention de l’UNESCO pour la diversité culturelle. L’enjeu central de la culture, outre l’encouragement des pratiques artistiques habituelles dans leur foisonnement, c’est l’implication de l’ensemble de la population parce que la culture concerne toute la population, son identité dans sa diversité et non les seules institutions artistiques. La suppression dans l’intitulé du projet de l’axe central de la loi actuelle – l’accès et l’encouragement – marque d’entrée sa rupture radicale avec la politique culturelle installée à Genève depuis trois décennies. On a demandé aux directeurs d’institutions en place de rédiger un projet aux visées qui leur ressemblent. On mesurera par le langage employé dans l’exposé des motifs, digne d’un prospectus de l’Office du tourisme ou du département des affaires étrangères, tout ce qui sépare ce projet cantonal de la Loi fédérale sur l’encouragement de la culture : un retour en arrière d’une génération.