« Match fixing » et paris illégaux
Entretien avec Jean-Luc Moner-Banet. En sa qualité de Président de la WLA, l’association mondiale des loteries, le Directeur général de la Loterie Romande collabore étroitement aux initiatives prises par Interpol et les fédérations sportives internationales pour lutter contre les matchs truqués. Éclairages.
Les révélations liées à la manipulation des rencontres sportives ne cessent de prendre de l’ampleur. Quels impacts pour les loteries d’utilité publique ?
Les matchs truqués mettent en péril l’entier du secteur des paris sportifs et menacent sérieusement l’intégrité du sport. Pour les opérateurs légaux, dont la crédibilité risque d’être minée et de s’effondrer, la guerre contre ce fléau est devenue une nécessité afin d’assurer la pérennité de leurs activités. En effet, qui jouera encore si se répand l’idée que tout est faussé ? Dans ce contexte, la WLA, qui représente quelque 150 loteries officielles à travers le monde, agit en faveur de la généralisation des systèmes de surveillance et d’alerte à tous les continents. Il faut également œuvrer pour une régulation accrue des opérateurs agréés et une lutte renforcée contre l’offre illégale sur Internet, qui a pour effet de diminuer les moyens mis à disposition de l’utilité publique.
L’essor des jeux d’argent sur Internet serait donc au cœur du problème ?
Si le principe des matchs truqués est vieux comme le monde, Internet, cependant, a mondialisé le phénomène en abolissant les frontières. Le problème ne vient pas seulement du nombre de sites recensés – on parle de 25’000 sites de jeux d’argent dans le monde –, mais également de la multiplication des formes de paris. Sur un seul match de football, il peut y avoir 300 types de mises différentes, qui portent, par exemple, sur le nombre et le moment des cartons jaunes ou le nom de l’équipe qui fera le premier corner. Avec cet essor des activités des opérateurs installés sur Internet, dont la plupart sont illégaux, les risques de manipulation ont augmenté en conséquence. Si l’on veut qu’elle soit efficace, la lutte contre les matchs truqués passe par l’adoption de mesures permettant de bloquer l’accès aux sites illégaux ou d’interdire leurs transactions financières.
Combien pèse ce marché des paris illégaux ?
Selon des estimations du Comité international olympique (CIO), le marché des paris illégaux pèse plus de 140 milliards d’euros. Certains avancent même des chiffres allant de 500 à 1’000 milliards d’euros, soit un chiffre d’affaires proche, voire supérieur, à celui du trafic de drogue dans le monde. Les sommes colossales qui sont misées dans les paris sportifs illégaux posent un double problème pour les collectivités publiques : le premier d’ordre économique, avec les pertes pour les sociétés officielles, dont les bénéfices sont distribués tout ou partie aux projets d’entraide, l’autre d’ordre social, avec la mise en danger des joueurs, le truquage des matchs et la criminalité connexe. Force est de constater, malheureusement, que la manipulation des rencontres sportives est devenue une activité très prisée par les mafias pour blanchir l’argent et en gagner.
Les pouvoirs publics semblent impuissants… Est-ce si compliqué de traduire en justice les criminels qui sont derrière toute cette corruption ?
Seules des actions conjuguées des fédérations sportives, des forces de police et des opérateurs de jeux permettront d’endiguer le phénomène, car les fraudeurs sont très prudents et savent se protéger au mieux. Le cerveau d’un réseau dispose généralement de plusieurs hommes de confiance chargés de corrompre les joueurs ou les arbitres dans différents pays. Pour brouiller les pistes et éviter d’éveiller les soupçons, les malfaiteurs éparpillent les mises, grâce à des groupes de parieurs complices. Dans cette situation, il reste difficile d’apporter des preuves devant les tribunaux. Les criminels doivent néanmoins être punis bien plus sévèrement. Un signal fort doit être donné à cet égard, en procédant notamment à l’arrestation de certains gros bonnets dont on sait qu’ils sont à la tête d’un réseau.
Le Conseil de l’Europe est sur le point de finaliser une convention internationale contre la manipulation des résultats sportifs. Que peut-on attendre de ce texte ?
Les récentes enquêtes menées par Europol montrent que le « match fixing » se développe de façon très inquiétante, allant jusqu’à menacer l’existence de certains sports. Dans ce contexte, il reste primordial de promouvoir les valeurs positives du sport et d’édicter des recommandations à l’intention des jeunes sportifs. Les fédérations sportives, les autorités judiciaires ainsi que les opérateurs légaux de paris sportifs ont été associés dès le départ au projet initié par le Conseil de l’Europe. Cette nouvelle convention permettra d’intégrer la fraude sportive dans le droit pénal de l’ensemble des États membres, ce qui conduira, du moins peut-on le souhaiter, à un renforcement de l’arsenal législatif et des sanctions, pas seulement en Europe, mais aussi ailleurs.