Argent des pauvres pour divertir les riches

Numéro 4 – Décembre 2004

Redistribuer le revenu de l’impôt de 14 % perçu sur les spectacles à Lausanne aux milieux artistiques concernés et lancer une initiative cantonale pour la création de fonds interrégionaux afin de contraindre les communes pique-assiettes à délier leur bourse pour la culture : telles sont les mesures préconisées.

À Lausanne, les artistes jouent, filment, chantent, dansent avec l’argent des pauvres pour plaire à un public riche. La scène culturelle du Grand Lausanne vit depuis longtemps dans ce paradoxe assez déplaisant et, à cause de politiciens bornés à droite comme à gauche, assiste impuissante à la lutte stérile de deux majorités qui se regardent en chiens de faïence. Les roses-verts majoritaires du chef-lieu campent sur les 36,6 millions versés à la culture pour justifier les 5 à 6 millions d’impôt sur la consommation culturelle et autres « divertissements » qu’ils piquent dans la poche, d’une part d’un public lausannois jeune et socialement faible (leurs électeurs...), et d’autre part d’un public périphérique nettement plus argenté (les électeurs de leurs adversaires).

Pingrerie raffinée

Les majorités de droite des villes environnantes rechignent quant à elles depuis longtemps (l’ère Jaggi) à jouer le jeu d’une répartition des charges avec le chef-lieu. Entre deux, les artistes locaux bricolent, angoissés, dans la dépendance d’aides lausannoises fort rationnées, contraints de faire en permanence un cadeau involontaire au public aisé et cultivé, voire raffiné, des communes de l’Est et du Nord – dont le raffinement n’inclut cependant pas l’idée de contribuer au soutien bassement matériel de la culture !

Le revenu d’un impôt perçu dans un secteur culturel devrait être rétrocédé de manière dynamique aux créateurs locaux du même secteur

Ici, le « miracle solidaire » qui voit le canton de Zoug fournir un million et celui de Schwyz un demi-million l’an aux principales institutions culturelles de la ville de Zurich n’inspire personne. Au contraire. Jean-Jacques Schilt annonce avec beaucoup d’inventivité qu’il ripostera aux abolitionnistes de droite de l’impôt sur les divertissements en punissant... les culturels ! Les communes environnantes, pourtant aussi prospères que celles de Zoug et Schwyz, érigent leur égoïsme en mur infranchissable : l’essentiel est de maintenir le taux d’impôt bas, voire très bas. Tellement bas qu’il ne reste rien pour la culture du Grand Lausanne. Un point (d’impôt) c’est tout.

Les artistes, circulez ! Nous proposons aux culturels de sortir du bois. Ne pas tomber dans le piège des abolitionnistes de l’impôt sur les divertissements pour ne pas affaiblir le principal soutien à la culture de la région paraît une évidence. Et d’ailleurs pourquoi suivrions-nous des gens qui, là où ils ont la majorité, se moquent de la culture ? Ne pas accepter le chantage de Schilt non plus : le revenu d’un impôt perçu dans un secteur culturel devrait être rétrocédé de manière dynamique aux créateurs locaux du même secteur. Une façon de faire subventionner les salles projetant des films suisses par exemple par les impôts prélevés sur les spectateurs des films américains. Et de même dans les autres secteurs, le théâtre, la musique, le rock, la danse, etc. De même encore dans le sport, pour autant que les autorités politiques, après une consultation démocratique, choisissent les activités à privilégier. L’impôt haï se referait ainsi une moralité !

Quant aux communes environnantes, elles devraient entendre nos casseroles. Par exemple, si la nouvelle péréquation cantonale ne suffit pas, sous la forme d’une initiative populaire cantonale qui pourrait obliger toutes les communes de chaque région à contribuer, dans une proportion inverse à leur taux d’impôt, au financement d’un fonds culturel intercommunal de leur région. Non, mais !...