Création indépendante : Genève bouge !

Numéro 4 – Décembre 2004

En juin dernier, le Grand Conseil genevois supprimait de moitié la subvention dévolue à la création indépendante, provoquant ainsi une formidable mobilisation de la scène culturelle. Bien décidé à renverser la vapeur, le Mouvement 804 peut compter sur une pétition munie de 21’000 signatures et sur le soutien du Département de l’instruction publique dirigé par Charles Beer. Invité à revenir sur sa décision, le Grand Conseil se prononcera en décembre.

« Le samedi 26 juin 2004 restera marqué comme une journée noire pour la culture genevoise », affirme en préambule le communiqué de presse diffusé le 5 juillet par le Syndicat suisse romand du spectacle. Réuni en plein été pour voter le budget de l’année en cours, le Grand Conseil vient en effet de réduire de 50 % le montant de l’aide ponctuelle à la création indépendante, qui tombe ainsi de 1,3 million à 650’000 francs. Cette décision tardive prend d’abord au dépourvu le Département de l’instruction publique (DIP). Tablant sur la reconduction sans accrocs du budget 2003, le Service des affaires culturelles a déjà attribué la somme restante au cours des six premiers mois de l’année. Les caisses sont donc vides et une vingtaine de projets sont ainsi condamnés. Stupeur, mais point de tremblements, chez les artistes genevois : un mois plus tard naît le Mouvement 804 (pour août 2004, soit 8.04), qui lance une pétition exigeant le rétablissement intégral et sans délai de la subvention initiale.

S’il est encore prématuré d’en parler au passé, la coupe budgétaire votée par le Grand Conseil aura toutefois permis de hisser la création indépendante sur le devant de la scène

On assiste alors à une mobilisation sans précédent de la scène culturelle et la pétition réunit plus de 21’000 signatures en cinq semaines ! Elle est déposée au Grand Conseil le 21 octobre, alors que le chef du DIP rencontre une délégation du Mouvement 804 composée de Sandro Rossetti (architecte, musicien), Xavier Fernandez-Cavada (metteur en scène de théâtre), Maria Perez (comédienne, chanteuse) et Natacha Jaquerod (scénographe). Le député socialiste Charles Beer attendait une levée de boucliers pour sortir du bois : il est servi. Fort du soutien populaire exprimé par la pétition, il demandera au Grand Conseil de revenir sur sa décision lors du vote du budget 2005 – à la session de décembre, sauf contretemps !

La culture fait débat

S’il est encore prématuré d’en parler au passé, la coupe budgétaire votée par le Grand Conseil aura toutefois permis de hisser la création indépendante sur le devant de la scène. Au-delà de la mobilisation générale des artistes et du succès de la pétition, on observe à Genève les prémices d’une véritable réflexion sur la culture. Envoyé en juillet à plus d’une quarantaine de médias, le communiqué de presse du Syndicat suisse romand du spectacle n’avait suscité que peu d’échos, mais le débat a depuis lors gagné la presse.

Si le mérite en revient d’abord au Mouvement 804, la publication des résultats d’une enquête sur les pratiques culturelles dans le canton, réalisée par l’Institut M.I.S. Trend à la demande du DIP, du Département des affaires culturelles de la ville et de l’Association des communes genevoises, a aussi contribué à relancer le débat. Il en ressort que Genève est une « ville dynamique culturellement » pour 76 % des sondés, bien que la fréquentation stagne depuis 1992 et que la culture reste un « divertissement d’élite ». Conscient de ces problèmes, Charles Beer y voit « autant de défis pour notre future politique culturelle ». Le chef du DIP monte d’ailleurs au créneau pour défendre les artistes dans la Tribune de Genève (« Les écoles d’art ne sont pas des fabriques de chômeurs », 6.11.04), tandis que Le Temps ouvre sa rubrique Débat à sa secrétaire adjointe Franceline Dupenloup.

Et demain ?

Réveillée par le coup de semonce du Grand Conseil, la scène culturelle genevoise vient de prendre la pleine mesure de la précarité de sa situation. Dès lors, le Mouvement 804 n’a pas l’intention de se contenter du repêchage du fonds de l’aide ponctuelle à 1,3 million. Au temps de la défensive succède celui de l’offensive, avec le budget 2006 en ligne de mire et le soutien de Charles Beer : « Je me suis engagé à augmenter la ligne des indépendants et à assumer le ratio étatique réglementaire des 30 % pour la subvention à la Fondation d’art dramatique, qui coiffe le théâtre de la Comédie et du Poche. En effet, l’institution a un double rôle : formateur et créateur d’emploi. Il faut lui donner les moyens d’assumer cette responsabilité. Genève, contrairement à Lausanne et à Zurich, ne soutient pas suffisamment l’institution théâtrale. »

Par ailleurs, la Conférence culturelle genevoise va enfin voir le jour en 2005. Outil de collaboration entre l’État, la ville et les communes, ce forum de réflexion devrait permettre de dégager plus de moyens pour la culture grâce à une meilleure coordination des ressources et de la politique des collectivités publiques. Un rapport est aussi en préparation, afin de dresser « un état des lieux de la culture à Genève et de sa place au sein du DIP, y compris dans les grilles d’enseignement, assorti de pistes », précise Charles Beer. Autant de signes en faveur d’une nouvelle donne, preuve qu’il faut – malheureusement – toucher le fond de la piscine pour aspirer à davantage d’oxygène.