L’anglais comme langue véhiculaire

Numéro 45 – Mars 2015

Nul doute que le multilinguisme soit un enrichissement, au niveau personnel. Il développe l’intelligence dans la mesure où il habitue ceux qui le pratiquent à jongler avec des codes linguistiques différents.

Il favorise la souplesse d’esprit, et vraisemblablement l’ouverture interculturelle. Il permet, sans les rendre automatiques, l’élargissement des relations humaines et la compréhension entre les gens.

En revanche, le bilinguisme institutionnel est très souvent un piège pour la culture minoritaire. Si l’on n’a pas inscrit des garde-fous dans la Constitution, la dynamique linguistique se développera immanquablement au détriment de la communauté la plus faible. Surtout si la langue majoritaire est principalement celle de la politique et des affaires.

On sait de plus que la langue maternelle, ou celle qu’on parle naturellement, n’est pas qu’un moyen de communication. Sa pratique entraîne une structuration de la pensée. C’est par elle principalement qu’on se nourrit intellectuellement, par l’écoute et la lecture. C’est cette source privilégiée d’information qui forge l’opinion sur le monde et sur ses semblables.

Les différences linguistiques induisent donc des attitudes et des pratiques différentes. C’est normal.

Le mythe de la compréhension réciproque

Mais il n’y a pas que cela en Suisse. Nos concitoyens alémaniques privilégient de plus en plus l’usage de leurs dialectes. Non seulement dans la vie de tous les jours mais également dans les médias audiovisuels, et même à l’école élémentaire ! Ils renoncent ainsi progressivement, pour des raisons qui leur appartiennent, à maîtriser cette « langue étrangère » qu’est, selon leurs dires, l’allemand. Ce choix délibéré des idiomes alémaniques s’accompagne en outre d’un repli identitaire sur une patrie mythique autant que dépassée. Il serait peut-être abusif de conclure que ceci explique cela, encore que…

Parallèlement, on constate, à l’Est de la Sarine, une baisse flagrante d’intérêt pour le français, considéré comme nettement moins utile que l’anglais pour assurer l’avenir de la jeunesse alémanique. Sacrifiant de ce fait délibérément ce à quoi les Romands essaient de s’accrocher encore, soit l’Entente confédérale fondée sur une compréhension réciproque. Encore un mythe !

 

 

La Suisse romande, de son côté, s’obstine à tenter, parfois en vain, d’apprendre à ses enfants une langue que les Alémaniques eux-mêmes ne parleront éventuellement plus à terme. Elle le fait vraisemblablement en croyant conjurer un divorce qui se manifeste de plus en plus. Elle espère peut-être ainsi rester durablement le parent, certes de seconde zone mais « généreusement » assisté, de la Suisse moderne.

Il est temps de réagir et de renoncer aux effets pervers de cette subordination politique, économique et culturelle.

On devrait, en Suisse romande comme ailleurs, prendre acte avec lucidité de la place prise par l’anglais dans la dynamique de la mondialisation. On devrait admettre que la maîtrise de cette langue est devenue indispensable ; et donc l’enseigner aussi comme première langue étrangère, bien sûr après la langue maternelle.

Les conséquences ? L’anglais pourrait être désigné langue véhiculaire en Suisse. Son usage deviendrait obligatoire dans la formation supérieure – les Écoles polytechniques l’ont déjà adopté – dans l’économie – on la trouve partout présente dans la publicité commerciale – et surtout dans la politique.

À égalité

L’anglais, s’imposant au Palais fédéral, permettrait de sensibles économies, de traduction déjà. De plus Alémaniques, Romands et Italophones se trouveraient, dans cette langue, à égalité de difficulté d’expression et de compréhension. Le meilleur y gagnerait et non plus, comme systématiquement aujourd’hui, le majoritaire linguistique.

À l’École romande, on pourrait renoncer à enseigner en priorité l’allemand que même les Alémaniques ne parleraient plus. Et le temps ainsi gagné pourrait être consacré à l’apprentissage de langues plus ouvertes sur le reste du monde, comme l’espagnol, l’arabe ou le chinois.

Qui nous dit enfin que ce ne serait pas une façon habile de sortir la Suisse de l’isolement dans lequel les pratiques de l’UDC, et autres nationalistes, voudraient l’enfermer ?

Article paru sur www.courant-d-idees.com et sur www.lameduse.ch