Un paysage médiatique qui serve la démocratie et non l’actionnaire

Numéro 45 – Mars 2015

La liberté d’expression pour les artistes et la liberté d’information pour les journalistes sont les deux faces d’une même pièce. Ces libertés ont été mises à mal par des fanatiques lors de la tuerie à Charlie Hebdo. La prochaine votation sur la loi radio-TV en Suisse nous rapproche d’autres menaces contre ces libertés.

L’audiovisuel

En Suisse, le service public audiovisuel fait l’objet actuellement de trois opérations qui ne font qu’ajouter à ces menaces : un référendum (contre la loi radio-TV, mis au vote en juin 2015), et deux initiatives anti-redevances (qui sont au stade de la récolte de signatures).

Nous, artistes et journalistes soussignés, craignons de laisser démanteler la SSR sous le prétexte fallacieux du libre jeu de la concurrence. La concurrence, nos chaînes de TV la subissent férocement à chaque instant. Elles se battent non sans succès pour permettre aux spécificités sociales, politiques, linguistiques et culturelles de nos régions suisses de continuer à revendiquer leur place face aux chaînes étrangères toujours plus fortes, plus nombreuses et plus réductrices, et qui, sans les ressources de la redevance n’en feraient qu’une bouchée.

Nous savons qu’aucun média privé n’assurera à l’audiovisuel le niveau de qualité dont nous disposons en Suisse depuis des décennies. Nous savons qu’aucune région linguistique de Suisse n’atteint la taille critique permettant une véritable concurrence sur nos marchés audiovisuels culturellement très cloisonnés.

Et bien sûr la première victime de la privatisation des radios et TV dans les régions minoritaires serait la clé de répartition SSR qui leur garantit une part non proportionnelle des ressources. Prétendre faire jouer la concurrence entre plusieurs opérateurs sur un tel territoire reviendrait très vite à le livrer aux diffuseurs internationaux et, par contrecoup, à affaiblir dangereusement le lien confédéral.

Les groupes médiatiques privés qui souhaitent s’arroger la radio-TV s’empresseraient de faire passer la liberté de l’information sous les rouleaux compresseurs de la rentabilité. Ils ne verraient pas l’intérêt commercial de promouvoir la diversité des programmes et le contenu culturel de la radio - et bien sûr supprimeraient le Pacte audiovisuel qui lie la TV aux films suisses et leur ont permis d’atteindre leur notoriété actuelle.

La presse

Sous régime privé, la presse écrite voit rétrécir depuis de nombreuses années son lectorat, sa diversité, sa qualité et sa liberté d’information. Bien sûr, de nombreux éléments concourent à favoriser cette inquiétante glissade. Il est nécessaire de rééquilibrer le paysage médiatique suisse et d’envisager un soutien public aux médias écrits. Une mesure qui pourrait mettre fin à la « guerre des publicités » entre la télévision et la presse, sans pour autant permettre à l’État de poser un pied dans les rédactions.

Nous proposons de créer dans chaque région un fonds d’aide à l’enquête, qui incitera des journalistes à déposer des demandes devant un jury de collègues confirmés. Cette aide leur permettra de mener leurs enquêtes en toute indépendance. Ensuite leurs articles seront proposés aux organes de presse imprimée ou virtuelle, pour lesquels cette action représentera une aide indirecte efficace. Le système d’attribution garantirait qu’aucun lien ne relierait le financement du fonds au contenu des articles soutenus et que les rédactions n’auraient aucune obligation de les publier.

Il est nécessaire de rééquilibrer le paysage médiatique suisse et d’envisager un soutien public aux médias écrits.

Nous estimons qu’il convient d’alimenter un tel fonds d’aide à l’enquête en s’adressant en premier lieu aux diffuseurs de contenu audiovisuel (Cablecom, Swisscom TV, etc.) qui, bénéficiant d’une situation privilégiée, engrangent directement ou indirectement une partie des recettes publicitaires de l’audiovisuel. En deuxième lieu, on se rappellera qu’on a malheureusement laissé les grandes chaînes étrangères s’emparer d’une part importante du marché publicitaire audiovisuel suisse ces dernières années. Elles devraient, elles aussi, être mises à contribution en pourcentage des recettes de leurs « fenêtres publicitaires » suisses. Ces deux secteurs devraient être accompagnés à une hauteur moindre par la SSR sur ses recettes publicitaires, par des mécènes, des privés et les collectivités publiques (Confédération).

Nous appelons à voter OUI à la loi radio-TV le 14 juin, à rejeter les initiatives hostiles au service public audiovisuel, dont la récolte de signatures est en cours. Nous appelons à lancer la création d’un fonds d’aide à la rédaction d’enquêtes et de dossiers pour la presse écrite dont nous développerons les modalités dans notre prochain numéro à paraître le 1er juin.

Dès maintenant, et jusqu’au 30 avril 2015, il est possible de signer cet appel ainsi que de consulter la liste des signataires sur notre site internet www.cultureenjeu.ch