Une église-théâtre au milieu du village

Numéro 47 – Septembre 2015

Entretien avec Jean Chollet, directeur de l’Espace culturel des Terreaux. Au centre de Lausanne, un théâtre de 300 places s’est ouvert dans une ancienne église. Il est doté d’un café, Le Sycomore, et de divers locaux en sous-sol. Après avoir conduit les destinées de plusieurs compagnies romandes, de l’historique Théâtre du Peuple à Bussang dans les Vosges puis durant vingt ans du Théâtre du Jorat à Mézières, Jean Chollet est le directeur de ce lieu depuis son ouverture en 2004.

Jean Chollet, comment l’église des Terreaux est-elle devenue un théâtre ?
Jean Chollet : Il faut dire d’abord que le bâtiment appartient à une fondation constituée pour gérer tous les biens de l’ancienne « Église libre »[1] lorsque celle-ci a rejoint, en 1965, l’Église dite « Nationale » pour former l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud (EERV). Depuis son inauguration en 1860, la chapelle des Terreaux était la « Cathédrale » des « Libristes », leur plus belle église. Dès la fusion, le problème s’est posé de savoir que faire de ce lieu. Divers projets ont été imaginés. Finalement la Fondation a opté pour un espace de concert. La plupart des bancs ont été remplacés par des chaises, des toilettes pour le public ont été installées à l’entrée, un nouvel orgue a été acheté… mais le mouvement s’est arrêté là : personne n’a été engagé pour penser une véritable programmation. La chapelle des Terreaux, n’est jamais véritablement devenue une salle de concerts. Il faut signaler par ailleurs que son acoustique était particulièrement difficile.

Et ce n’est pas tout aussi gênant pour le théâtre ?
JC : Si, bien sûr. Mais l’installation de la « boîte de scène » constituée en rideaux de velours noirs, de même que l’installation de velours noir sur tous les murs de la chapelle, ont totalement « mangé » la réverbération.

Quelle est la ligne de votre programmation ?
JC : Compte tenu du lieu particulier qui est le nôtre et de la subvention que nous recevons de l’EERV, nous essayons de toucher le public le plus large possible avec des spectacles qui posent des questions de société. Mais nous ne limitons pas nos spectacles aux seules productions qui donnent à réfléchir ! Nous avons inauguré la salle des Terreaux en septembre 2004 avec les Mummenschanz, sans parole. Au cours des saisons suivantes, j’ai programmé systématiquement un ou deux spectacles « grand public », quitte à ne pas les présenter dans la salle des Terreaux et ses 300 places, mais au Métropole, de l’autre côté de la rue, qui en compte plus de 1’100. Ces opérations ont été bénéfiques pour nous dans la mesure où elles nous permettaient de toucher un autre public et de trouver des sponsors (ce qui n’est guère possible avec des spectacles trop profilés).

Dans notre époque « postmoderne », le religieux fait partie de l’individu en société, même si ce n’est plus qu’une composante parmi d’autres.

Vous ne voulez plus en réaliser ?
JC : Si, mais les deux très grandes salles de Lausanne (Métropole et Théâtre de Beaulieu) ont été confiées dès cette année aux deux plus gros agents de spectacles de Suisse romande et ce sont eux qui désormais s’occupent de faire ces sortes d’opérations.

Vous devriez donc obtenir davantage de soutien de la part du Canton ou de la Ville de Lausanne ?
JC : L’Espace culturel des Terreaux fonctionne depuis douze ans sans aucune aide culturelle ni du canton ni de la Ville. Et non seulement Lausanne n’a soutenu ni l’activité générale des Terreaux ni les productions qui y sont présentées, mais elle a prélevé la taxe communale sur les spectacles de 14%, ce qui signifie en clair que l’ECT a fait un don annuel à la culture subventionnée de 40’000 frs par an durant dix ans ! Heureusement, le soutien du public ne nous a jamais fait défaut !
En ce qui concerne les subventions, l’EERV consacre à l’entreprise des Terreaux l’équivalent d’un salaire et demi d’un pasteur par année, considérant que l’ECT constitue tout à la fois une vitrine de l’EERV et une véritable interface avec la culture. La programmation actuelle ménage – peut-être un peu plus que par le passé – une place à des spectacles grand public (Me Marc Bonnant, Claude Inga Barbey) ce qui permet au lieu d’exister et de « tourner ». Et à partir de cette base, nous pouvons programmer des spectacles plus risqués : ceux auxquels nous tenons aussi beaucoup, mais dont nous savons qu’ils nous demanderons plus de travail en terme de promotion et de communication.

N’est-ce pas trop difficile d’articuler culture et religion ?
JC : Au contraire, c’est passionnant ! Dans notre époque « postmoderne », le religieux fait partie de l’individu en société, même si ce n’est plus qu’une composante parmi d’autres. À la jointure culte et culture se croisent tous les débats de société, les vraies questions qui sont problématiques pour chacun. Ici, ne serait-ce que dans ces toutes dernières années on a fait venir de Neuchâtel une exposition sur le voile et le dévoilement et le contexte de l’islam, abordé la problématique des « femmes de prêtres », la raison ou de la déraison de croire et de ne pas croire. Une pièce comme La Jeune Fille ou la Mort d’Ariel Dorfman, la saison prochaine, pose la question de la justice ou du pardon. Les sujets de débats ne manquent pas… La seule difficulté est de trouver comment et avec quels soutiens, atteindre le public.

[#1] L’Église libre s’est constituée dans le canton de Vaud en 1847, après l’exigence des Radicaux qui avaient pris le pouvoir en 1845 que les pasteurs de l’Église protestante dépendent du nouveau gouvernement : la moitié des pasteurs d’alors firent sécession.