La « Digue du livre et du DVD »

Numéro 5 – Décembre 2004

Submergés par le flot des importations de livres et de DVD, ainsi que par l’hégémonie de la grande distribution, les auteurs, éditeurs et petits détaillants romands risquent la noyade. Pour émerger, l’introduction du prix unique est un pas, la sauvegarde de la vitalité littéraire et audiovisuelle doit en être un autre. A cet effet, il est urgent de créer un fonds de solidarité, la « Digue du livre et du DVD ». Quelques idées sur son fonctionnement.

Dans la masse de la production française et des traductions des œuvres mondiales, l’édition romande se retrouve de plus en plus diluée, et même complètement noyée : 80 % des livres vendus en Suisse romande sont importés. Dans le domaine du DVD, les ventes des importations frisent carrément le 100 %.

Avec la fermeture progressive des petites librairies, les dernières niches sont aussi en train de disparaître. Compte tenu des difficultés auxquelles se heurtent les éditeurs, la création littéraire romande ne résistera pas longtemps à l’érosion. Quant au DVD, secteur audiovisuel devenu le plus rentable mondialement, il ne rapporte que des miettes aux producteurs suisses. Cette mainmise sur leur propre marché est extrêmement inquiétante à court et à moyen terme.

Une digue contre l’immersion

Pour préserver la diversité des canaux de diffusion, des réseaux spécialisés et des éditeurs et producteurs romands (et derrière eux les auteurs et réalisateurs romands), il faut donc construire une digue, « La digue du livre et du DVD ». La revendication du prix unique du livre, élargie au DVD, a sans doute sa place dans un dispositif de sauvetage, mais les professionnels de la diffusion l’affirment : d’autres mesures sont nécessaires.

Quant au DVD, secteur audiovisuel devenu le plus rentable mondialement, il ne rapporte que des miettes aux producteurs suisses

Car si le prix unique va probablement contribuer à enrayer la disparition des petites librairies et des petits diffuseurs, il n’est d’aucun secours pour pallier le grave handicap des éditeurs et producteurs romands. Par rapport à leurs concurrents français et mondiaux, la rentabilité des livres et DVD qu’ils fabriquent pour un marché minuscule ne soutient pas la comparaison. C’est pourquoi nous ne saurions nous contenter d’appuyer uniquement l’introduction de dispositions légales sur le prix unique du livre.

Contribution solidaire et volontaire

La profession doit s’organiser pour définir une série de mesures destinées à assurer la diversité de l’offre et l’amélioration des bases économiques de la création littéraire et éditoriale en Suisse romande. Les moyens pour une telle politique volontariste n’existent pas, il faut les créer. Nous proposons donc la perception d’une taxe instaurée volontairement par tous les diffuseurs et libraires sur tous les livres et DVD vendus en Suisse romande. Cette taxe pourrait être collectée par une association, la « Digue du livre et du DVD », et reversée à tous les livres et DVD d’éditeurs et de producteurs d’audiovisuel romands en fonction de critères économiques et artistiques (nombre d’exemplaires vendus, mais aussi aide à l’édition, à la production, à la diffusion, à la création).

Toute la chaîne littéraire et audiovisuelle romande, de la création à la vente, pourrait dès lors être soutenue. Ainsi, les acheteurs romands de succès d’édition internationaux pourront – au lieu de contribuer involontairement à noyer les créateurs locaux – apporter une aide à la création et à l’édition culturelle romandes de livres et de DVD. Notamment en prélevant 1 ou 2 francs par exemplaire, ou alors un petit pourcentage de 1 à 4% sur le prix de vente.

Aides additionnelles publiques et institutionnelles

Sur les quelques centaines de millions de chiffre d’affaires annuel du livre et du DVD en Suisse romande, une telle taxe devrait être calculée de manière à rapporter au minimum 5 millions de francs par année. En complément indispensable au prix unique du livre et du DVD, seule une telle taxe permettra d’accorder des crédits à moyen et long terme aux librairies et vidéothèques en danger. Au nombre des guichets à prévoir, l’un d’entre eux pourrait accorder des aides économiques ponctuelles à des petites librairies et des vidéothèques en fonction de leur engagement culturel et social en faveur de la lecture, de l’écriture et du cinéma romand. Ce dispositif devrait par ailleurs être complété par des apports de la Confédération (Office fédéral de la culture, Pro Helvetia), des cantons, des communes, des fondations et surtout de la Loterie Romande. Un pot commun recueillerait toutes les contributions (taxe sur les ventes et financement des institutions) et un système de répartition géré par la branche de la littérature et celle de l’audiovisuel se chargerait de la répartition des ressources selon un système à plusieurs guichets.

A cet égard, le système automatique du Fonds Regio Films – qui fonctionne depuis cinq ans avec l’appui de la Loterie Romande, des communes et cantons romands, ainsi que de la Société suisse des auteurs, de Suissimage et bientôt de la Confédération – pourrait servir de modèle. Par la mobilisation conjointe des milieux littéraires et de l’audiovisuel, reste désormais à alerter et à convaincre les pouvoirs publics romands et les organes parapublics comme la Loterie Romande, afin qu’ils réalisent l’extrême urgence qu’il y a d’édifier la « Digue du livre et du DVD » !