Le droit d’auteur, hier, aujourd’hui et demain

Numéro 51 – Septembre 2016

Dans l’histoire du droit d’auteur, la Renaissance occupe sans doute une place centrale : alors que, jusque-là, une œuvre littéraire n’existait qu’à une poignée d’exemplaires, l’avènement de l’imprimerie permit subitement de multiplier les copies à un coût abordable. L’œuvre et son support commencèrent alors à se distinguer l’une de l’autre… et les éditions pirates firent leur entrée en scène !

Plus nous nous rapprochons de l’époque actuelle, plus cette dématérialisation devient importante : avec l’avènement de la photographie et de la lithographie, les beaux-arts furent touchés ; puis la musique, avec l’enregistrement sonore ; enfin, avec la révolution numérique, les frontières territoriales en vinrent à s’effacer. À cette première évolution, de nature technologique, devaient s’ajouter les effets d’une transformation profonde du mode de production : dans la société médiévale dominée par l’aristocratie, les artistes, créateurs aussi bien qu’interprètes, étaient essentiellement financés par le mécénat ; progressivement, le modèle bourgeois vint s’y substituer, faisant de la transaction mercantile la base de l’organisation sociale. Depuis lors le mécénat, même s’il n’a pas disparu, a perdu énormément d’importance ; pour permettre néanmoins aux créateurs de disposer de leur temps pour réaliser leurs projets, une nouvelle forme de financement devait être trouvée. C’est de la rencontre de ces deux courants – dématérialisation et mercantilisation progressives – qu’est né le concept de droit d’auteur : dès l’époque des incunables, une protection fut accordée aux éditeurs, sous la forme du fameux « privilège du roi », qui n’est autre qu’un monopole, une garantie de percevoir des droits exclusifs sur la vente d’une œuvre, pour une période limitée ; en 1710, un acte de la reine Anne d’Angleterre fixa cette durée à 14 ans. Le copyright entra dans la Constitution américaine vers la fin du XVIIIe siècle, tandis que de grands auteurs en France – Beaumarchais, Balzac – se battirent pour faire progresser la cause des auteurs.

En raison de la diversité extrême des types d’activités concernés (il n’y a pas grand-chose en commun, par exemple, entre la production d’un film et celle d’un recueil de poèmes, entre la conception d’un palais et l’enregistrement d’une chanson), un véritable arsenal de lois fut peu à peu mis en place, couvrant un nombre toujours plus grand d’aspects de la commercialisation de l’art. Un principe commun les sous-tend toutefois : la redistribution aux artistes ou aux producteurs d’une fraction du prix de vente d’un bien ou d’un service. Ce modèle, vieux d’un demi-millénaire, a rendu d’immenses services ; mais il n’est pas sacré, et il est très probable que les nouvelles technologies de diffusion vont nécessiter une
refonte complète du système : désormais présentes instantanément et sur tous les continents, de nombreuses productions culturelles profitent d’une visibilité incroyablement accrue ; ce qui, à terme, devrait permettre de trouver de nouveaux publics, et par conséquent de nouveaux flux financiers. Le fameux crowdfunding pourrait en être un avant-goût : de micro-dons, versés par d’innombrables personnes très disséminées – sorte de retour aux sources du mécénat, sous une forme « atomisée ». Mais ce n’est là qu’un exemple : d’autres manières de tirer parti de la nouvelle instantanéité planétaire existent certainement ; et le modèle du pourcentage perçu sur des transactions commerciales apparaîtra peut-être bientôt comme appartenant au passé.

De la rencontre de ces deux courants – dématérialisation et mercantilisation progressives – est né le concept de droit d’auteur

Même si leur nature exacte nous échappe encore largement, les nouvelles formes de financement de l’activité artistique ne pourront faire l’économie d’une réflexion de fond : qui, du créateur ou du producteur, faut-il favoriser ? Rappelons que la plupart des compositeurs, des poètes ou artistes peintres, avant ou après l’invention du droit d’auteur, sont morts pauvres. Le système anglo-saxon actuel donne clairement la priorité aux producteurs et intermédiaires, tandis que les législations continentales reconnaissent à l’auteur un droit moral perpétuel et inaliénable, en plus d’un droit d’utilisation commerciale limité dans le temps et cessible. Quant aux sociétés de droits d’auteurs, elles ont leurs propres agendas, qui ne correspondent pas forcément aux priorités des artistes.

Le nouveau modèle à venir devrait garder à l’esprit un principe simple : sans créateurs, rien de tout cela n’existerait. Il est temps de les remettre au centre.