Profession, journaliste TV

Numéro 55 – Août 2018

Parler de ma profession de journaliste de télévision ?
Beau sujet ! Passion totale pour ce métier ! Mais commentle faire sans tomber dans la nostalgie d’un temps qui n’est plus ?
Sans tenir compte d’un nouveau monde qui émerge et dont le territoire est à conquérir.

Disons pour résumer, que rarement dans son histoire, la profession, de tv ou d’ailleurs, n’aura été autant secouée, déstabilisée et contrainte de se réinventer dans l’urgence. Il y a peu encore, être journaliste c’était croire à la force et aux devoirs du 4ème pouvoir, à sa valeur sociale et économique. C’était enquêter, rechercher, vérifier, pondérer et informer sans concession.

L’émergence de la société numérique a bouleversé toutes les donnes et cassé tous les codes. Au point de menacer l’existence même de la profession ou tout du moins de la remettre profondément en cause. Être journaliste aujourd’hui, c’est surtout s’interroger !

Car les changements sont majeurs et s’observent à l’oeil nu.

Pour la première fois dans l’histoire des médias, les frontières entre vecteurs de contenus ont été abattues. Télévision, radio, journaux, magazines se retrouvent en concurrence directe sur le même territoire du net.

Pour la première fois aussi, l’information peut se consommer sans filtre. L’ubérisation des pratiques rend a priori superflu le travail du journaliste, passage autrefois obligé entre un évènement et sa diffusion.

Pour la première fois enfin, les éditeurs peuvent se passer des bonnes plumes pour attirer la pub, qui passe désormais par les plateformes et les médias en ligne. Anibis, Topjobs, Alpha et tant d’autres, sont autant de poules aux oeufs d’or. Il n’est d’ailleurs plus certain que les patrons de presse tiennent aux vertus de rigueur et d’indépendance.

Même les politiques ont appris à faire sans la presse ! Le président Trump twitte ses décisions, un cinéaste fait la communication de Poutine, Macron veut créer sa propre chaîne pour diffuser sa « pensée complexe » et les « Insoumis » communiquent sur facebook, avec un certain succès.

Concurrence, internationalisation, fragmentation des audiences, nouveaux vecteurs : le changement est majeur. Un choc, une révolution, un tournis ! L’évolution a frappé de plein fouet le marché des médias romands. L’Hebdo a disparu ce printemps, Le Temps n’a plus qu’un tiers de sa rédaction, la presse régionale tremble, les journaux locaux restent locaux et même le service public est contesté, dans l’essence même de sa définition. Le changement est rapide et n’en est qu’à ses débuts.

Dans ce paysage chamboulé, à quoi servent donc encore les journalistes ?

À tout ! Leur rôle, pour peu qu’ils arrivent économiquement à le défendre, pourrait d’ailleurs être plus crucial que jamais. Le tableau de la presse est aujourd’hui à la fois sombre et porteur de promesses.

Jamais les sources n’ont été aussi accessibles, jamais le potentiel de diffusion n’a été aussi large. L’atomisation de la demande porte en elle le germe de l’éclatement de la société, qui rend le travail des journalistes, et singulièrement le travail des journalistes de service public compris dans un sens large, plus indispensable que jamais. Dans une société noyée par la masse des contenus, le rôle des médias indépendants est démultiplié. Seule une presse échappant aux pressions et économiquement forte est à même de rendre lisible le fait social. La Suisse, qui s’est construite en jouant sur l’équilibre des pouvoirs, le sait plus que tout autre. Pour relancer l’industrie horlogère, lors de la grande crise des années 70, il a fallu des idées, des entrepreneurs et… des fonds. Il en va de même pour la presse. Le modèle économique a changé, il faut un nouveau modèle juridique et de nouvelles pistes de financement, aides directes, aides indirectes, fondations, aides à l’innovation, redevance, financement aux contenus.

Les modèles sont à débattre et la parole est désormais au législateur, plongé aujourd’hui dans une stupeur léthargique. Les géants du numérique vont plus vite que les lois et pillent les contenus des vecteurs traditionnels, laminant au passage leur marché publicitaire. Leur pouvoir commercial accroît d’autant leur pouvoir sur les esprits. Il est temps de réagir.

La profession vit une révolution majeure, qui nécessitera des réformes pour repartir. Le journalisme indépendant de qualité, quel qu’en soit le vecteur, est plus indispensable que jamais.