Fijou : où en est-on ?

Numéro 57 – Mars 2018

L’Association Fijou (pour un fonds de financement du journalisme) s’est constituée en octobre dernier. Son comité a élaboré un projet de règlement tout en continuant son travail d’information auprès des collectivités publiques, des milieux professionnels et du public. Pourquoi et comment l’argent public devrait-il venir au secours de médias privés ? Quatre questions reviennent régulièrement dans les débats :

1. Pourquoi maintenant ?

Depuis la mort de L’Hebdo, il y a un an, les annonces de restructuration continuent à s’empiler, non seulement en Suisse romande, mais désormais aussi Outre-Sarine. L’implosion du paysage médiatique suisse se poursuit, elle n’est pas terminée. La publicité n’en finit pas de migrer sur les réseaux sociaux. Il faut agir maintenant pour préserver ce qui peut encore l’être et faire éclore de nouvelles pousses (print ou web). En démocratie, la production d’informations de qualité a une importance systémique. Elle requiert l’intervention des pouvoirs publics au moment où les éditeurs privés abandonnent un business ne générant plus les immenses bénéfices de jadis.

2. Comment assurer l’indépendance des rédactions ?

En matière culturelle, la tradition du mécénat public ou privé est ancienne. Pour ce qui concerne la presse, la Suisse n’y est guère habituée. La crainte d’une influence trop grande des bailleurs de fonds sur le travail des rédactions est à prendre au sérieux, mais ne devrait pas être surestimée dans un pays doté d’une solide culture démocratique. La double structure de gouvernance proposée par Fijou fera écran à toute intervention directe. Un Comité, composé de représentants des cantons, des journalistes, des éditeurs, voire du public, donnera les orientations et surveillera les activités du fonds. Une direction exécutive sera chargée d’administrer les subventions selon les décisions de groupes d’experts désignés au sein de la branche, en fonction des différents types d’aides. Ce dispositif est courant dans les entités subventionnées. Au surplus, la transparence des comptes, due par les récipiendaires, permet de réduire le risque de copinage ou de clientélisme.

3. Pourquoi un fonds romand ?

Depuis quelques années, le sort des plus grands journaux romands se décide à Zurich ou même à Berlin. La Suisse francophone doit se donner les moyens de reprendre le contrôle, elle doit se dégager une marge de manœuvre pour préserver et développer un journalisme de qualité qui défend ses spécificités politiques, économiques, culturelles. La création d’un fonds de financement du journalisme à l’échelle romande n’exclut pas d’autres interventions de la Confédération, mais elle peut se réaliser rapidement, contrairement au rythme fédéral forcément plus lent. Obtenir un consensus à l’échelle nationale prendra des années. Mutualiser les moyens entre cantons romands est devenu courant dans le domaine culturel. Pour la presse, la démarche fait sens : beaucoup de Romands bougent pour des raisons professionnelles, ils ne vivent pas tous dans leur canton de naissance, mais restent attachés à son actualité. Une structure romande d’aide à la presse éliminera tout risque d’ingérence du pouvoir politique dans le travail des rédactions. L’engagement des pouvoirs publics encouragera les investisseurs privés à faire de même. Enfin, grâce à cette expérience, la Suisse romande pourra profiler l’excellence de ses compétences et ses exigences éthiques en matière numérique.

4. Comment garantir la concurrence entre médias ?

Fijou ne prévoit pas d’arroser uniformément tous les médias. Il s’agit d’une panoplie d’aides ciblées qui touchent le travail du journaliste (pacte de l’enquête), le pouvoir d’achat des consommateurs, la formation citoyenne des nouvelles générations, l’encouragement à l’innovation. L’aide est soumise à la réalisation de prestations bien définies, elle vise la production d’un journalisme de qualité, dans un climat d’émulation. Elle constitue une source de financement additionnel pour les rédactions, qui ne seront pas dispensées de rechercher d’autres moyens pour couvrir l’entier de leurs coûts. La reconstitution d’un paysage médiatique fort et indépendant passe par l’éclosion d’une multitude de nouvelles aventures éditoriales originales, qui méritent d’être soutenues compte tenu de l’étroitesse du marché romand, au moins temporairement, jusqu’à ce qu’elles trouvent une rentabilité assurant leur pérennité. C’est une loi de l’innovation : il faut semer pour récolter.