Prix unique du livre : un cartel peut en cacher un autre

Numéro 6 – Mai 2005

Alors que les diffuseurs fixent impunément le prix du livre en Suisse romande, la Commission de la concurrence vient d’interdire l’accord qui règle le marché alémanique. Lors du débat sur le prix unique organisé par l’association enJEUpublic au Salon du livre, l’urgence d’une loi fédérale a fait l’unanimité. Reste à susciter une volonté politique.

« En Suisse, le diffuseur est seul maître à bord pour fixer les prix, alors qu’il n’est qu’un intermédiaire – pour ne pas dire un entremetteur – et n’est donc à aucun moment propriétaire du livre », expliquait Pascal Vandenberghe, directeur général de Payot, lors du débat organisé le 27 mai au Salon du livre par l’association enJEUpublic. Si la situation alarmante du marché romand (voir CultureEnJeu no 5, mars 2005) appelle l’instauration d’un prix unique, c’est pourtant la Suisse allemande qui se trouve sous les feux de l’actualité. La Commission de la concurrence (Comco) vient en effet de dénoncer le Sammelrevers, prix imposé garanti en vigueur sur le marché alémanique depuis 1993. Et l’Association suisse des libraires et éditeurs a annoncé qu’elle fera recours.

Tandis que la Comco interdit le Sammelrevers outre-Sarine au nom de la loi sur les cartels, la mainmise des diffuseurs sur le marché romand perdure et les livres importés restent de 20 à 35 % plus chers qu’en France

Cette décision intervient à l’heure où la nécessité d’un prix fixe s’impose en Suisse, mais ce n’est pas là le moindre de ses paradoxes. Tandis que la Comco interdit le Sammelrevers outre-Sarine au nom de la loi sur les cartels, la mainmise des diffuseurs sur le marché romand perdure et les livres importés restent de 20 à 35 % plus chers qu’en France. « On libéralise, mais on préserve un cartel ! Je suis dans une rogne noire, j’ai l’impression qu’on me raquette », s’est indignée à juste titre l’écrivaine Anne Cuneo. « Il y a douze ans, il existait un grand réseau de librairies indépendantes en Suisse romande, où l’édition littéraire était l’un des fleurons de la culture, grâce à une entente sur un prix du livre importé entre éditeurs, diffuseurs et libraires. Mais depuis que Monsieur Prix a cassé notre ‹cartel›, au début des années 1990, chaque diffuseur fixe ses propres prix... », a rappelé Marylise Pietri, directrice des Editions Zoé.

Dès lors, seul le Conseil fédéral peut décréter l’exception culturelle du livre. Françoise Berclaz-Zermatten, propriétaire de la librairie La Liseuse à Sion et présidente de la Commission du prix réglementé du livre, l’a d’ailleurs demandée à Pascal Couchepin. Une véritable volonté politique fait pourtant défaut. Certes, en septembre dernier, la commission de l’économie et des redevances du Conseil national a accepté de donner suite à l’initiative du député PDC Jean-Philippe Maître pour le prix réglementé du livre. Mais elle doit maintenant affronter la commission du Conseil des États, qui attendait la décision de la Comco et se prononcera fin mai ! Dans la perspective d’un recours de l’Association suisse des libraires et éditeurs, l’entrée en matière risque d’être reportée à nouveau.