Recto / Verso
Deux cantons, deux visions: regards croisés avec Nicole Minder, cheffe du Service des affaires culturelles du Canton de Vaud, et Sami Kanaan, ancien maire de Genève et conseiller administratif, chargé du Département de la culture et du sport.
Nicole Minder
Vous venez d’inaugurer le nouveau bâtiment du Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne, après un premier refus de la population pour le construire au bord du lac en 2008. Comment le nouveau projet a-t-il éclos?
Il s’agit d’une volonté politique. À l’époque, les deux chef·fe·s de département concerné·e·s, Anne-Catherine Lyon pour la Culture et Pascal Broulis pour les Finances et la Construction ont rebondi immédiatement en nommant une commission pour identifier de nouveaux sites. Ils ont pris soin de s’adjoindre des partenaires relais avec la population et ont créé, dès le site trouvé, une fondation de soutien à Plateforme 10, nouveau quartier des arts à Lausanne.
Dans quelle mesure la culture, en l’occurrence muséale, a-t-elle un rôle à jouer dans la politique?
La constitution d’un patrimoine n’a de sens qui si elle établit un dialogue avec la population. Pour l’aider à comprendre son environnement, mais aussi dans quelle histoire elle s’inscrit. Le musée joue un rôle capital dans la société, incitant à l’échange. Un musée d’histoire, un musée de sciences naturelles aident à comprendre très directement le monde qui nous entoure, tandis que le musée d’art l’interroge à travers son interprétation par l’artiste. Il y a d’un côté le pur plaisir de contemplation de l’objet et, de l’autre, la confrontation aux idées.
Quel message un projet comme Plateforme 10 peut-il véhiculer dans d’autres cantons, en Suisse et à l’étranger?
La réunion dans un même espace public de trois musées d’art (beaux-arts, design, photographie) est la grande force du projet. C’est absolument unique en Suisse. Il y a actuellement dans l’arc lémanique une richesse culturelle exceptionnelle, tous domaines confondus. La grande énergie qui s’en dégage dépasse les frontières purement cantonales. Une construction comme le nouveau Musée cantonal des beauxarts symbolise cet élan, qui va encore se déployer avec le soutien des collectivités publiques, mais aussi des privés. Le partenariat public-privé a été vu comme une nécessité pour en faire un projet citoyen dès le départ.
Sami Kanaan
On vient d’inaugurer le nouveau Musée des beaux-arts à Lausanne. Qu’est-ce qui différencie les approches des Cantons de Vaud et de Genève ?
Les musées de Genève sont très liés à l’identité de notre ville, ils sont le fruit de son histoire scientifique, des collections réunies par les familles genevoises au fil des siècles et léguées à la collectivité publique, de son ouverture internationale.
Quel message un projet d’extension rénovation du MAH, prévue depuis le début des années 2000, peut-il véhiculer en Suisse et à l’étranger?
Genève est une petite ville à l’échelle de la planète, mais néanmoins une «villemonde», avec la Réforme, l’accueil de migrations importantes, la place tenue dans les négociations internationales, l’ONU, le CERN, etc. Elle peut jouer un rôle critique, proposer une alternative à la norme des États-nations. La place muséale du bout du lac a un immense potentiel pour donner matière à réfléchir sur notre parcours, sur notre passé et sur les enjeux de notre temps.
Dans quelle mesure la culture a-t-elle un rôle à jouer dans la politique?
Quand on évoque par exemple le drame de la migration à travers la Méditerranée, je pense qu’un musée comme le MAH peut interroger le phénomène, éveiller et faire parvenir à une prise de conscience plus fine de la complexité du monde, ainsi que de la nécessité d’agir.
2028 est la date envisagée pour l’inauguration du MAH, près de quarante ans après le début des discussions. Qu’est-ce qui freine à Genève ?
Nous tenons au bâtiment historique, ce qui demande une rénovation plus fine que la reconstruction d’un nouveau musée ailleurs. Un premier projet, lancé au début des années 2000, a échoué en votation par 54% des voix en 2016. Depuis, j’ai relancé un nouveau projet muséal, en faisant les choses «dans l’ordre», étape par étape, sur la base d’une large concertation. Un nouveau directeur, Marc-Olivier Wahler, a pris ses fonctions en novembre. Il a postulé avec un projet qui s’insère parfaitement dans l’identité repensée du plus grand musée encyclopédique de Suisse. Le Conseil municipal a voté un crédit de préétude cette année. Le lancement du concours d’architecture aura lieu à l’automne 2020.