«La littérature est un acte de résistance»

Numéro 67 – Septembre 2020

Déplacé à l’automne avant le COVID-19, le Salon du Livre ne se déroulera pas sous sa forme habituelle en 2020. Du 28 octobre au 1er novembre, la manifestation se déploiera en ville de Genève dans une version plus intimiste. Rencontre avec la nouvelle directrice, Natacha Bayard. 

Drôle d’année pour repren­dre les rênes du Salon du Livre ! Que souhaitez-vous apporter à l’événement ? 

De manière générale, je pense qu’il faut s’adapter tant au niveau des formats que des rencontres et des animations. Suite à cette édition particulière en 2020, nous proposerons plus d’ateliers interactifs en 2021, ainsi que des rencontres entre auteur·e·s. L’expérience est le mot clé. C’est ce que le public recherche depuis les débuts de la manifestation il
y a 34 ans.

A quoi ressemblera le Salon du Livre en 2020 ? 

Cette année, le Salon investit la ville. L’idée est de proposer des activités et des lectures dans des théâtres, des musées, des endroits plus populaires aussi, pour ne pas rester uniquement dans des lieux culturels. Ainsi pourrons-nous toucher différents publics. Nous avons pris la difficile décision de renoncer à une édition avec exposants à Palexpo en juin. Il était compliqué pour les éditeurs de prendre un stand cette année, mais nous souhaitons quand même proposer quelque chose. Leïla Slimani et Raphaël Enthoven seront les invités d’honneur de cette édition 2020. 

La littérature a-t-elle une portée politique ?

La littérature reflète le monde dans lequel nous vivons, mais elle est avant tout une forme d’art, même si on retrouve effectivement une dimension politique dans la littérature engagée. Elle a un rôle de revendication à jouer. C’est un moyen d’expression, donc un moyen de faire entendre sa voix. Elle n’exprimera pas les mêmes choses dans un pays démocratique que dans un pays ou le peuple est privé de ses droits. 

Quelle place occupent dans vos réflexions les questions liées à l’inclusivité ?

J’y suis attentive et nous faisons tout pour organiser des tables rondes équilibrées. Cette lutte est nécessaire, car sans elle tout le monde ne trouve pas sa place. Toutefois, je souhaiterais que cela se fasse naturellement sans devoir compter, je pense qu’il faut faire attention à ne pas être clivant. La qualité doit primer et en parlant de genre, elle se retrouve autant chez les hommes auteurs que chez les femmes auteures. Pour ce qui est de l’écriture inclusive, elle est nécessaire. Même si parfois ça rend la forme un peu plus lourde.

Qu’observez-vous du monde de l’édition en période de COVID-19 ? 

Nous avons beaucoup de petites maisons d’édition en Suisse, dont la santé financière est juste à l’équilibre. Les éditeurs ont été mal menés et subissent encore aujourd’hui les conséquences de la crise sanitaire. La situation était déjà compliquée avant la crise, comme je le disais, on oublie souvent que la littérature est une forme d’art. Certains y voient plus du com­merce en raison des ventes de livres. Mais il faut prendre en compte les deux aspects. Il faut absolument conserver cette diversité qui fait la particularité du paysage littéraire et politique. Les éditeurs ont besoin du soutien de l’État. 

Que représente la littérature dans un monde qui se digitalise ?

C’est en quelque sorte un acte de résistance et une apologie de la lenteur. On a tendance à faire énormément de zapping aujourd’hui. Les gens lisent un tweet, une phrase… On y perd du sens ! Lire prend du temps dans un monde ou tout va très vite mais cela me parait primordial. Aller au fond des choses en une phrase, c’est pratiquement impossible. 

Prendre le temps, un concept qui n’est plus vraiment dans l’air du temps… 

On dit que le temps est un luxe ! Certain·e·s réalisent qu’il s’agit d’une nécessité. Entre le travail et la vie de famille, on a tous un peu des vies de fou et ce temps si précieux se réduit souvent aux vacances. 

Quel est votre premier souvenir de lecture ?

J’ai un souvenir très marquant du La Petite Fille aux allumettes de Hans Christian Andersen que me lisaient ma grand-mère et mon père. Ce conte très imagé évoque mon enfance, cet instant précis, sorte de rituel du soir au moment du coucher. Je m’identifiais à cette petite fille re­cro­quevillée qui avait froid. Comme d’autres formes d’art, l’es­sence de la littérature est de
déclencher des émotions.