Édito n°7, septembre 2005 – Le théâtre ou la playstation

Numéro 7 – Septembre 2005

Quand le cinéma n’offre que du précuit et la télévision du surgelé, le théâtre se signale comme le dernier des arts de parole vivante. Le théâtre vivant, et plus encore celui de création, est l’expérience indispensable que tout être humain, notamment lorsqu’il se façonne, devrait éprouver – à l’image des rites de passage de la tribu ancestrale. Or, que se passe-t-il ? Les adolescents de nos contrées surconsomment de la conserve culturelle mercantile qui exalte l’individualisme exacerbé et s’accrochent à leur playstation et à l’« extasy » en guise de rites de passage.

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Illustration © 2005, Bruno Racalbuto

Bien sûr, le théâtre ne se résume pas à ce rôle citoyen. Pour être bien vivant, il doit aussi se risquer en terres inconnues. Mais comment – avec quelques rares compagnies, des comédiens jetés sur les routes à la poursuite de cachets éphémères, quelques villes qui remontent le pont-levis derrière leurs hôtes fleurant le parisianisme – la rencontre entre les nouvelles générations et les comédiens sur leurs tréteaux magiques, ambassadeurs des valeurs humaines en perpétuel renouvellement, peut-elle se produire ?

Pourquoi d’ailleurs l’option économique qui a permis au théâtre alémanique de survivre à un bon niveau a-t-elle été inversée en Suisse romande ? Là-bas, les théâtres engagent des comédiens dans des troupes permanentes grâce aux deniers publics et font tourner les metteurs en scène. Ici, au contraire, des personnalités qui dirigent les très rares troupes font tourner autour d’elles les comédiens en électrons libres. Là-bas, un théâtre ouvert à la création avec des comédiens qui peuvent se perfectionner sur la durée ; ici, un théâtre de la précarité où la création, évacuée vers le « off » ou les « contrats de confiance », doit se contenter de la portion congrue avec des troupes qui se font, se défont et ne peuvent partir jouer sous d’autres cieux...

La Suisse romande devrait voler au secours de la création théâtrale. Qui pourrait renforcer la Corodis, amener les cantons et les villes à cofinancer une troupe romande permanente, favoriser les tournées des meilleurs spectacles, apporter un soutien automatique en cas de succès sur le modèle du Fonds Regio pour les films ? Comme pour le cinéma, où un tel modèle est en gestation, la loterie de service public, aiguillée par les édiles, n’est-elle pas la seule piste d’envol pour ce décollage ?
État de la réflexion dans le dossier sur le théâtre, conçu par Sima Dakkus, qui est publié dans ce numéro.