Redémarrages, suspensions et paradoxes
Redémarrages, suspensions et paradoxes
Chronique : Christophe Gallaz, écrivain et chroniqueur
Redémarrage de cette belle revue, donc, comme celui des activités culturelles après la crise pandémique et ses rebonds. Posons que c’est vers le mieux. Mais redémarrage aussi du sport le plus attentatoire à notre environnement naturel, au Qatar, par exemple, sous le signe de la Coupe du monde de football qui se soldera par l’émission en un mois de 18 millions de tonnes de CO2, la petite moitié de celles produites par année dans notre pays. Posons cette fois que c’est vers le pire. Rien n’est donc simple, d’autant que le redémarrage suppose l’inverse de la suspension ou de l’arrêt. De même que la «rentrée», que tous les acteur∙ice∙s du secteur tertiaire connaissent au terme de leurs vacances d’été, implique qu’une «sortie» l’aura précédée dès la fin du mois de juin.
N’est-elle pas intéressante, cette oscillation-là des séquences? Car s’il existe un redémarrage qui serait la condition de la vie productive et réjouissante, il instaure à l’inverse une immobilité qui serait le signe, elle, d’une mort temporaire ou d’une absence, avec les sentiments de manque ou de chagrin qui s’ensuivent en nous – l’intéressant consistant à se poser, dans la foulée, une question simplissime: durant la séquence ayant précédé le redémarrage de cette belle revue comme celui des activités culturelles après la crise pandémique et ses rebonds, comme je l’énonçais tout à l’heure, de quoi aurions-nous vraiment manqué?
De quels nutriments sensibles, intellectuels et poétiques aptes à fabriquer réellement notre personne et nos sociétés humaines? À les déployer? À les élever, même, au sens de l’élévation spirituelle? Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où nous sommes en temps normal si puissamment déterminés par les principes de la consommation, pour ne pas dire de la saturation, y compris dans le champ culturel, que nous en sommes peut-être égarés. Que nous confondons volontiers ce qui nous transforme réellement à la lecture d’un livre, par exemple, et ce qui nous réjouit de l’avoir lu pour savoir comment en parler à l’échelle des mondanités.
Il se trouve en effet que nos appétits de découvrir et de connaître ce qui nous entoure, y compris dans ce champ culturel, je le répète, s’inscrivent dans deux perspectives légèrement contradictoires. Ils favorisent d’une part la constitution de notre identité personnelle, et d’autre part notre aptitude à rendre cette identité performante au sein du corps social. En somme, plus nous créons notre singularité, plus nous avons besoin de rendre celle-ci performante au sein de la collectivité, ce qui pourrait passer pour de l’aliénation.
Paradoxe et désarroi, au secours! Qui suis-je, où vais-je? Voilà pourquoi s’impose à la fin de ce petit texte, aux allures de sketch à la Devos, la seule conclusion possible: il nous faut saluer non seulement les redémarrages comme celui de cette revue, mais les suspensions – comme celle aussi de cette revue qui nous aura permis d’en aiguiser le désir subtil au cœur du monde égarant. Vive elle et vastes vœux!