Des nouvelles du RAAC…

Numéro 18 – Juin 2008

La première session du Forum Art, Culture et Création s’est tenue à Genève les 22 et 23 février 2008. En attendant la deuxième session les 3 et 4 octobre prochains, nous publions de larges extraits de la synthèse rédigée par Pierre-Louis Chantre pour le RAAC.

« Besoin fondamental de l’hom­me », « ciment des sociétés laïques », « pilier du développement de nos démocraties », facteur d’identité nationale, d’intégration sociale, d’autonomie, d’innovation : lors de leurs interventions, les responsables politiques invités au premier Forum lancé par le Rassemblement des artistes et acteurs cuturels (RAAC) ont rivalisé en définitions élogieuses de la culture. Devant plusieurs centaines d’artistes et acteurs culturels rassemblés dans la Black Box du Théâtre du Grütli, ils ont affirmé la place centrale de la production artistique dans notre société. Ils ont aussi admis l’importance primordiale d’une vaste réflexion sur la culture à Genève aujourd’hui, et se sont félicités de l’initiative du RAAC. Certains semblaient même soulagés d’un besoin de dialogue ressenti depuis longtemps.

Souvent très applaudies, les interventions ont montré une forme d’unité entre artistes et politiques. Les uns et les autres paraissaient liés dans le sentiment de vivre un moment fondateur potentiellement porteur d’une mutation majeure de la politique et de la vie culturelle genevoise. Contrairement à certaines craintes émises pendant la préparation du Forum, la rencontre n’a donc pas été le théâtre de batailles rangées ou de règlements de comptes.Les nombreux discours et interventions qui ont marqué ces deux jours ont cependant souligné plusieurs décalages entre artistes et politiques sur la manière d’envisager le soutien à la culture. Sans vouloir tous les englober, les quatre points de cette synthèse mettent en avant des enjeux et des idées majeurs qui formeront inévitablement le cœur des discussions futures entre artistes et politiques, mais aussi entre artistes eux-mêmes.

1. L’initiative en matière d’encouragement de la culture : le premier pas aux artistes ou aux acteurs politiques ?

« Il faut que les artistes s’organisent » : les orateurs et débataires politiques ont réitéré cet appel plusieurs fois durant le Forum. Pour obtenir une augmentation des moyens, défendre leur statut social, modifier la distribution des charges ou combler les lacunes de la Loi fédérale sur la culture, les artistes devraient « activer des réseaux », « créer des rapports de force », « s’investir davantage » afin de permettre aux acteurs politiques d’appuyer leurs demandes auprès des instances parlementaires et gouvernementales. Aux artistes donc de fournir des appuis aux uns et d’imposer le dialogue aux autres par un lobbyisme constant.

Cette position a été reçue avec un peu d’étonnement. […] L’attente des artistes et acteurs culturels est inverse. Tout en demandant d’être intégrés dans les processus de réflexion et de décision, leur espoir est que le monde politique prenne désormais l’initiative de penser, mettre en œuvre et faire évoluer une politique culturelle globale claire et surtout cohérente avec la valeur qu’ils disent attribuer à la culture au sein de notre société.

Les interventions, de même que les bilans présentés par les différentes disciplines, ont montré à quel point le paysage culturel suisse et genevois est inégalement structuré. […] Au-delà d’une diversité dont personne ne conteste la valeur, la politique culturelle locale et nationale donne un sentiment de disparité et de déséquilibre. […]

Les artistes et acteurs culturels demandent que désormais le monde politique n’attende plus les crises pour agir, qu’il ne se soumette pas seulement au rapport de force, mais s’occupe de la culture, des artistes et des acteurs culturels en amont, par souci d’une bonne organisation sociale et volonté d’encourager un domaine qu’ils estiment primordial. […] De toute évidence, ceci nécessite la mise en place d’outils et structures adéquats. Des pistes en ce sens sont actuellement élaborées dans les ateliers thématiques lancés lors de cette première session.

2. Le transfert de responsabilités au sein de la hiérarchie fédérale : vers le haut ou vers le bas ?

Que ce soit du côté des artistes ou des responsables politiques, les interventions du Forum ont relevé une contradiction entre les projets politiques actuels et l’évolution du paysage culturel contemporain.

Le mouvement du RAAC a été déclenché par le projet de transfert des charges du Canton en matière de culture vers la Ville de Genève, soit un déplacement des responsabilités vers le bas de la structure fédérale. Au niveau de la Confédération, malgré l’introduction du nouvel article constitutionnel sur la culture, les projets politiques vont dans le même sens. Dans sa nouvelle organisation, Pro Helvetia ne prend plus en charge la création. Par ailleurs, la logique des vases communicants selon laquelle une augmentation de moyens sur un secteur oblige à retirer autant de moyens à un autre, prévaut toujours dans le domaine culturel.

Beaucoup d’interventions ont néanmoins affirmé que les niveaux supérieurs de la géographie sociale et politique – cantons, agglomérations, Confédération – doivent au contraire s’investir davantage. Ce point de vue ne reflétait pas seulement des opinions personnelles ou partisanes. Il semblait en quelque sorte conforme au sens de l’histoire. La culture prend une importance sociale et symbolique toujours plus grande en Suisse. L’intérêt et la demande du public en matière culturelle croît continuellement. Le nombre d’activités culturelles, et donc de subventions, se développe en conséquence. L’arrivée de nouveaux acteurs dans la sphère de la subvention, comme le domaine du livre, augmente encore la pression sur les autorités. La crise actuelle peut ainsi se percevoir comme une crise de croissance. Après les interventions, il apparaissait logique, et même inévitable, de devoir transférer vers le haut une partie des responsabilités publiques en matière culturelle. […]

La nécessité de penser désormais au niveau de l’agglomération, et non plus seulement de la commune, a aussi été souligné à plusieurs reprises. Enfin, le magistrat en charge de la culture au Département de l’Instruction publique a clairement affirmé que le transfert des charges prévu par l’État genevois était « une absurdité », et que l’État devait impérativement « augmenter les moyens à la culture ». Que ce soit au niveau du financement, des axes de développement ou des espaces de création, tout le monde s’accordait donc pour dire qu’une politique culturelle conforme à notre époque ne peut désormais plus laisser l’essentiel des responsabilités aux seules communes. […]

3. La place des artistes dans la cité : maintien au centre ou transfert en périphérie ?

En marge du manque général de moyens financiers affirmé dans tous les domaines, les exposés présentés par les disciplines lors de la première matinée du Forum ont beaucoup insisté sur la crise des lieux de créations que vit aujourd’hui la scène artistique genevoise. Le manque d’espaces de travail et d’expositions est particulièrement criant dans le secteur des arts plastiques. Il est cependant sérieux partout. Musiciens, danseurs, metteurs en scène de théâtre et comédiens manquent cruellement d’espaces de répétition. […]

Face à un problème qui demande des solutions rapides, plusieurs responsables politiques présents ont profité du Forum pour esquisser des propositions concrètes. […] Ces déclarations ont provoqué des réactions mitigées. […] Quoiqu’il en soit, les propositions lancées par les responsables politiques posent la question de la place des artistes dans la cité.

4. La population des artistes et acteurs culturels : un groupe marginal ou une catégorie professionnelle (enfin) comme les autres ?

Parmi les faits marquants de ce premier Forum, il faut enfin souligner l’importance de sa fréquentation. Dans la journée de samedi, la grande salle du Théâtre du Grütli a accueilli plus de 400 personnes. Ce nombre ne reflète pas seulement l’inquiétude des artistes et acteurs culturels genevois, leur besoin de se rassembler et d’engager un dialogue avec la classe politique. Il reflète aussi l’importance que les artistes et acteurs culturels ont pris en tant que population à Genève, on pourrait presque dire en tant que catégorie sociale.

Les espoirs et ambitions affichées par les différentes disciplines montrent que cette population ne va pas diminuer. Elles montrent également que les artistes et acteurs culturels genevois, aussi précarisés soient-ils, ne vont pas abandonner leur art ou le reléguer à une place secondaire sous la pression de circonstances défavorables. La pratique de l’art représente une nécessité, un mode de vie, une vision de l’existence qui les accapare totalement, de la même manière qu’un médecin, un avocat ou un ingénieur est passionné par le métier qu’il a choisi. Très applaudie, l’intervention improvisée d’un jeune plasticien a fortement affirmé une volonté de pratiquer coûte que coûte un art qui n’obéisse pas aux lois de l’audience et du marché.

Les artistes et acteurs culturels ont cependant le sentiment que le monde politique, et la société genevoise et suisse en général, considèrent toujours les artistes comme une population vouée au dilettantisme, qui peut très bien se contenter de pratiquer l’art comme une activité secondaire. […] Le statut social des artistes, que ce soit pour le chômage ou la retraite, est extrêmement fragile. Les musiciens n’ont par exemple aucun statut d’intermittent. Enfin, la formation continue est inexistante pour la plupart des disciplines artistiques. La diversité culturelle, dont les responsables politiques sont souvent fiers, se paye au prix d’une précarité générale. […]

Un changement de regard sur les artistes et acteurs culturels semble être l’indispensable prémisse à une nouvelle vision de la culture à Genève et en Suisse. […] Qu’on les considère comme alternatifs ou non, dérangeants ou non, innovateurs ou non, les artistes et acteurs culturels demandent maintenant à être traités comme un secteur professionnel qui constitue pleinement la société genevoise et suisse, et non plus comme une population marginale qu’on traite avec des expédients.