Redonner souffle au théâtre

Numéro 14 – Juin 2007

Article paru dans Le Monde du 17 février 2007. Intertitres et chapeau sont de la rédaction.

En France, les professionnels du cinéma ont vu les avantages d’une véritable politique culturelle : dynamisation des sources de financement, transparence, soutien automatique… Un système dont pourraient s’inspirer les milieux du théâtre, estime l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière. De même, en Suisse romande, le Fonds Regio pour le cinéma, qui soutient la production audiovisuelle indépendante, a fait ses preuves. Pourquoi le théâtre ne profiterait-il pas de cet exemple pour élargir le soutien à la création et à la tournée ? Cette idée a été lancée par enJEUpublic à la fin de l’année 2006 lors de son assemblée générale. Un groupe pilote formé de professionnels du théâtre travaille actuellement sur un fonds régional pour le théâtre.

Saupoudrage des subventions, forte concentration des crédits en faveur des institutions les plus importantes, flou dans le processus de décision, empilement des aides : le moins que l’on puisse dire est que le tableau de la politique budgétaire du Ministère de la culture et de la communication en matière de spectacle vivant, tel qu’il est dressé par l’inspection générale des finances, est sombre et accablant.

Mais, au-delà de la polémique qui ne manquera pas d’opposer les cigales de la culture aux fourmis du budget, se dessinent en fait des enjeux considérables pour l’avenir du spectacle vivant dans notre pays.

Un pas timide

Car notre système de financement, avec ses imperfections et ses insuffisances, remplit toutefois un rôle inestimable et apporte un soutien indispensable à un réseau de diffusion qui, des scènes les plus prestigieuses aux compagnies indépendantes les plus petites, contribue à la vitalité incontestable du spectacle vivant en France. L’oublier, c’est nier le combat pour la diversité culturelle et pour l’indépendance de la création, auquel le spectacle vivant a pris une part active.

Après la crise de l’intermittence, le spectacle vivant a plus que jamais besoin de réformes profondes

Pour autant, faudrait-il se résoudre à un immobilisme prudent ? Assurément non ! Après la crise de l’intermittence survenue en 2003, le spectacle vivant a aujourd’hui plus que jamais besoin de réformes profondes, de courage politique et d’audace professionnelle.

La nouvelle architecture de la direction de la musique, de la danse, du théâtre et du spectacle (DMDTS) esquisse certes un pas dans cette direction, mais ce pas reste encore timide et balbutiant.

Construite également après guerre, la politique en faveur du cinéma a su se moderniser en s’organisant autour d’un Centre national de la cinématographie qui a dynamisé les sources de financement de l’audiovisuel et du cinéma et organisé la transparence des recettes. Elle a aussi su mettre en place un système d’aides au cinéma, dans toute sa diversité, qui, au-delà d’un soutien automatique, permet à des comités professionnels de soutenir de manière sélective des projets et des œuvres, sans que soient systématiquement instruits des procès en copinage.

Nouvelle organisation…

L’intelligence collective des professionnels du théâtre n’est pourtant pas moins vive que celle de leurs collègues du cinéma et de l’audiovisuel. Rien n’empêcherait donc de mettre sur pied un nouveau Centre national du théâtre qui s’inscrirait dans cette même démarche. Il aurait ainsi pour missions de réglementer le secteur, de soutenir l’économie du théâtre et du spectacle vivant, et enfin de promouvoir la création contemporaine et sa diffusion auprès de tous les publics.

Cette nouvelle organisation n’aurait bien évidemment aucun sens si son ambition se réduisait à uniformiser l’action des pouvoirs publics, quels que soient les secteurs concernés. Il serait faux de nier ou de gommer les spécificités qui fondent l’originalité du spectacle vivant dans notre pays. On sait à quel point notre politique, depuis l’après-guerre, s’est organisée autour de l’idée forte et centrale du théâtre de service public, tout en défendant la liberté et l’indépendance de la création.

Mais, si ces acquis, si cette culture qui nous est commune se doit de rester vivante, ne nous mettons pas des œillères en jetant un voile pudique sur une circulation des œuvres souvent indigente, sur un cloisonnement stérile entre le théâtre public et le théâtre privé, sur des sources de financement qui ne se régénèrent que difficilement.

… nouveaux publics

Quand les spécificités et l’originalité masquent en fait un modèle qui s’essouffle, il devient urgent de regarder ailleurs ce qui marche, et d’agir. Agir pour trouver des ressources nouvelles. Agir pour ne pas laisser tomber dans l’anonymat des auteurs qui seront peut-être les équivalents de Molière ou de Marivaux dans trois cents ans. Agir pour promouvoir une politique publique ambitieuse. Agir, enfin, pour que le théâtre et le spectacle vivant, dont la diversité des talents est insuffisamment exploitée, puissent conquérir de nouveaux publics.

Le programme est ambitieux et ne pourra pas se réduire à une nouvelle organisation administrative. Toutefois, ne nous y trompons pas, derrière la définition d’une architecture de l’administration centrale, nous voulons bâtir, autour d’une profession rassemblée et de partenaires institutionnels mobilisés, de nouvelles fondations pour permettre à la politique du spectacle vivant de se renouveler. L’exemple du cinéma et de l’audiovisuel ne peut que nous y inciter.

Les Cassandre nous diront que nous voulons tout casser. Au contraire, nous disons que nous voulons mieux reconstruire.