Cinéma suisse : renouvellement complet de la pharmacie
Grand remue-ménage au sein de la pharmacie de secours du cinéma suisse, dans tous ses tiroirs : suisse, romand et vaudois. Les fioles d’aide à la création offertes par les communes et les cantons sont regroupées dans un seul flacon romand. L’élixir d’aide de la Confédération pourrait voir sa formule chimique radicalement modifiée. Et dans le tiroir vaudois, on change radicalement de patients visés avec la mise en place de la première politique cantonale d’aide aux salles de cinéma.
Dès 2011, avec le lancement de la Fondation romande pour le cinéma, la fusion des aides au cinéma communales et cantonales romandes passe à un stade supérieur : les petits et moyens projets de films ne seront plus sélectionnés localement mais directement par une seule instance au niveau romand, qui centralisera et concentrera tous les moyens financiers. C’est la seconde révolution que connaît l’aide au cinéma romande, dix ans après la naissance du Fonds Regio Films qui avait déjà, avec l’aide essentielle de la Loterie Romande, mis en commun le système d’aide aux grands projets, en instaurant une aide complémentaire aux films ayant obtenu l’aide de la Confédération et (ou) de la télévision.
Ce n’est que quand le Tout est supérieur à la somme des Parties qu’il y a des chances pour que les particularismes locaux lâchent du lest.
L’aide de la Confédération subit aussi les contrecoups de la très controversée ère Bideau, qui s’achève en 2011, et qui aura contribué à faire sortir la politique du cinéma suisse des oubliettes médiatiques où les précédents « M. Cinéma » l’avaient cantonnée. Elle risque malheureusement d’y retourner sans délai, puisqu’un des projets de réforme les plus avancés consiste à confier la politique de tri des films à une instance extérieure issue de la branche. Le projet pourrait avoir les avantages d’une prise en main par les professionnels, une pratique exigeante que les Romands ont apprivoisée avec succès depuis dix ans. Mais les conditions de départ qui ont fait le succès des Romands ne sont pas réunies. Ceux-ci ont développé une instance porteuse, une sorte de « chambre professionnelle » qui garantit à la fois le débat et la cohésion de la branche (l’ARC jusqu’en 2005, à laquelle a succédé le Forum Romand). Les cinéastes suisses ne disposent pas d’une telle instance unique à l’échelle fédérale. Vu les dissensions entre producteurs, répartis en pas moins de quatre associations différentes, il peut y avoir de légers doutes sur leur capacité à gérer harmonieusement une instance unique chargée par délégation, au sein de la profession, de décider quels films doivent se faire ou pas. Si l’on envisage un Institut national du Cinéma, cela exige en préalable la création d’un parlement national des producteurs, sur le modèle du Forum Romand. Une telle instance offrirait des garanties de représentativité à la Confédération et aux parlementaires helvétiques, sans lesquelles il est difficile d’imaginer que ceux-ci renoncent à la prérogative essentielle des fonctionnaires de l’Office fédéral de la Culture en matière de projets de films : « séparer le bon grain de l’ivraie ». On peut se réjouir de voir l’État se décharger de ce travail essentiellement économique et artistique – et ainsi la Confédération s’éloigner un peu du « contrôle » relatif qu’elle exerce (à travers ses experts et fonctionnaires) sur le contenu des films. Néanmoins, il faut espérer que la branche réussisse à s’organiser, se politiser et se responsabiliser, et que l’État et la politique fédérale ne cherchent pas, face à l’écrasante concurrence mondiale, à se désinvestir de la bataille pour le maintien d’une production cinématographique et audiovisuelle créative et vivante en Suisse.
Le Tout supérieur à la somme des Parties
La seconde condition est l’argent. Chaque fois que les Romands ont fusionné les petits ruisseaux communaux et cantonaux, cela n’a pu se faire sans que la grande rivière soit dotée d’une somme supplémentaire. Autrement dit, ce n’est que quand le Tout est supérieur à la somme des Parties qu’il y a des chances pour que les particularismes locaux lâchent du lest. Il faut que l’attrait du nouveau système soit évident sur le plan financier. Dans le cas de l’aide fédérale, aucun doute n’est permis – et c’est la leçon, hélas, fort mal comprise de l’ère Bideau : toute politique ambitieuse qui ne s’accompagne pas d’un budget ambitieux n’aboutit qu’à des résultats décevants. Il manque toujours plusieurs millions – un constat qui date d’avant l’ère Bideau – pour maintenir durablement la part de marché du cinéma suisse au-dessus de l’étiage de 5 %. Sans parler d’atteindre les 10 % qui permettraient aux films suisses de passer moins inaperçus dans la page des cinémas.
Les Vaudois inaugurent l’aide aux salles de cinéma
Avec 65 écrans, (33 salles) Vaud peut se vanter d’avoir un écran pour 10’000 habitants. Outre quelques paysages mondialement classés, le Canton de Vaud possède donc le parc de salles de cinéma le plus dense de toute la Suisse, et peut-être du monde entier. Mais ces salles à la rentabilité plus qu’aléatoire sont condamnées à très court terme car elles manqueront le virage de la numérisation forcée, et cesseront d’avoir accès aux blockbusters US. Grâce à la Fondation vaudoise pour le cinéma (et à la mobilisation des cinéastes qui l’animent depuis sa création il y a plus de 25 ans), des aides publiques et semi-publiques devraient regrouper des financements économiques autant que culturels, des aides cantonales, communales, comme des aides destinées à la conservation du patrimoine. Ces aides serviront à sauver des salles directement menacées de fermeture, et à aider les autres salles peu rentables situées en périphérie du canton ou jouant un rôle dans le diversité culturelle, à réussir leur passage à la numérisation, avec l’aide complémentaire de la Confédération qui se met en place pour 2011. Les cinéastes vaudois, après avoir réuni les conditions politiques du financement de la part vaudoise au nouveau système d’aide romand à la production, estiment que le plus urgent est d’empêcher qu’on ne soit obligé de ne plus programmer dans tous ces « petits » cinémas (certains sont très grands…) qu’un seul et même film noir – obstinément noir.