Édito n°27, septembre 2010 : la globalisation face à la Diversité

Numéro 27 – Septembre 2010

« La mondialisation est inéluctable et irréversible. Nous vivons déjà dans un monde d’interconnexion et d’interdépendance à l’échelle de la planète. Tout ce qui peut se passer quelque part affecte la vie et l’avenir des gens partout ailleurs. Lorsque l’on évalue les mesures à adopter dans un endroit donné, il faut prendre en compte les réactions dans le reste du monde. Aucun territoire souverain, si vaste, si peuplé, si riche soit-il, ne peut protéger à lui seul ses conditions de vie, sa sécurité, sa prospérité à long terme, son modèle social ou l’existence de ses habitants. Notre dépendance mutuelle s’exerce à l’échelle mondiale… » (Zygmunt Bauman dans Le Nouvel Observateur, 24–30 mai 2007)

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Illustration © 2010, Bruno Racalbuto

Qu’il soit un personnage historique ayant vécu au début du XIIIe siècle avant J.-C. ou qu’il soit un personnage légendaire proposé par l’Ancien Testament, Moïse est le premier homme sur Terre à avoir fait et à avoir imposé, au nom de Yahvé, une proposition universelle. Les populations de l’époque adoraient de nombreux dieux appartenant soit à quelque « Olympe », soit faisant partie d’une chapelle de dieux plus privés liés à chaque tribu ou à chaque famille. En résultait une grande diversité d’expressions du spirituel et du sacré. Et voilà que Moïse annonce qu’il n’y a plus qu’un seul Dieu qui s’impose et dicte sa Loi en dix commandements fondamentaux.

Une révolution déjà tentée d’une autre manière – et qui fut un échec – par le pharaon Akhenaton (première moitié du XIVe siècle avant J.-C.). Les effets de cette révolution « globalisante » ont traversé plus de trois millénaires apportant leur lot de propositions constructives mais aussi de réalités oppressantes.

Un autre personnage historique va se servir de ce principe de globalisation pour asseoir son pouvoir, l’empereur romain Constantin 1er (272 – 337 après J.-C.), qui va utiliser le dynamisme et la structure hiérarchique très efficace de l’Église chrétienne, en considérant très vite cette dernière comme un rouage de l’État et l’un des principaux soutiens du pouvoir. Il devient en quelque sorte le « président de l’Église » laissant à l’Évêque de Rome (le Pape) le rôle de « premier ministre ». Pour gouverner sur des continents entiers et tenir ensemble des populations aux us et coutumes fort différents, il faut proposer des solutions simples et centraliser le pouvoir. L’empereur entre même dans les détails de son application puisqu’en 321 il décrète le dimanche jour férié obligatoire dans tout l’empire. Ses successeurs contraindront les différents théologiens des églises chrétiennes d’Orient et d’Occident à se mettre d’accord sur une ligne claire pour ne former qu’une « Grande Église ». Et c’est la fin des abondantes richesses de réflexion et de pensée des églises chrétiennes primitives qui, à travers une certaine diversité, essayaient d’exprimer « l’inexprimable » sans enfermer la vision de Dieu dans un carcan qui a étouffé par sa bureaucratie, par la surévaluation de son appareil hiérarchique et par ses dogmes la quête d’un sens vital et créateur. C’est également le début d’une grande rigidité de l’Église chrétienne, qui peut déclarer dorénavant ce qu’est le droit chemin – « la ligne du parti » – et ce qu’est l’hérésie. Cette « non-diversité » imposée rassemble les populations autour d’un unique mode de vie simplifiant la gestion du pouvoir.

Cette « non-diversité » imposée rassemble les populations autour d’un unique mode de vie simplifiant la gestion du pouvoir.

Ces deux exemples rappellent que la tendance d’imposer au monde entier – dont l’étendue est plus ou moins vaste selon les époques, qu’il s’agisse de la civilisation sumérienne ou de l’empire d’Alexandre le Grand – un même mode de vie réglé par des lois, des échanges commerciaux, une monnaie commune, parfois des mêmes dieux à adorer et, bien sûr, des impôts récoltés par l’occupant, s’est affirmée de tout temps. Cette propension inévitable à la mondialisation (occuper commercialement l’espace) s’élargit avec la globalisation (imposition d’un raisonnement unique concernant toutes les activités humaines), qui en vient même à prescrire de fait un seul véhicule linguistique – aujourd’hui l’anglo-américain.

Les avancées techniques produites et utilisées par ces puissances globalisantes – l’imprimerie, la machine à vapeur, le télégraphe, puis le téléphone, l’avion, la télévision, Internet – ont profité à ces mêmes centres de pouvoir pour asseoir leur contrôle sur le monde entier mais aussi pour exploiter des richesses des contrées les moins organisées, entrainant souvent un appauvrissement des diversités de celles-ci. En même temps, ces progrès techniques, liés à la production de masse et à la normalisation des pièces, ont permis l’abaissement des coûts de transport, de la communication et de la production, ainsi que la simplification de leur utilisation. Cela a permis à des minorités d’utiliser ces mêmes moyens techniques pour contester les abus de la globalisation, mais aussi pour affirmer les valeurs de leurs diversités, à l’époque de la création de l’imprimerie déjà, puis, beaucoup plus tard, sous les régimes totalitaires du XXe siècle.

Diaboliser la mondialisation est un exercice inutile. Mais créer des structures qui préservent et développent les diversités culturelles et les traditions des régions excentrées par rapport au centre de décision des grands organismes de gestion de la planète, est indispensable et vital ! Y renoncer serait comme supprimer toutes les touches noires du clavier d’un piano pour ne garder que les blanches. Ce serait supprimer tous les demi-tons et perdre les bémols et les dièses de l’Histoire et du vécu de l’Humanité.

Un des grands dangers de la mondialisation est de se baser de plus en plus sur des valeurs virtuelles – la bourse, par exemple – ou sur des opérations à plus-value immédiate, comme l’exploitation du pétrole et les monocultures, créant un ou des empires aux pieds d’argile qui au premier séisme financier, ou aux premières catastrophes naturelles, risquent de s’écrouler, entrainant ainsi avec eux les pays qui n’ont pas su conserver et développer leur diversité basée sur des expériences et des valeurs historiques différentes.

Un des grands dangers de la mondialisation est  de se baser de plus en plus sur des valeurs virtuelles.

En 1969, le sociologue canadien Herbert Marshall McLuhan (1911 – 1980), parlait d’un monde qui tendait vers un Global Village, soit un « Village planétaire » proposant l’idée que l’humanité pourrait prendre la forme d’une « communauté électronique ». Mais dans un « village », on parle au coin du feu, on écoute le sage au pied du grand arbre, tout le monde se connait. Nous allons davantage vers une « Cité planétaire » où l’anonymat règne et vers un univers dans lequel le rendement, la consommation à outrance et le progrès vont de pair avec une violence de plus en plus incontrôlable. McLuhan dit que le « message » est devenu le « massage ». Il est vrai que ce qui compte davantage aujourd’hui est l’appartenance automatique à un groupe plutôt que la recherche d’un choix raisonné. Regarder la télévision est devenu un TOC, comme fumer une cigarette, un TOC planétaire qui occupe l’espace et le temps. C’est un « massage » vide continu qui dure plusieurs heures par jour, n’apportant aucun « message », aucune plus-value, sinon celle d’enrichir les fabricants de cigarettes et de tenir tranquille les populations devant leurs écrans cathodiques ou électroniques. Si « la globalisation est inéluctable et irréversible », comme semble l’affirmer le sociologue et philosophe polonais Zygmunt Bauman, il ne faut pas oublier que les grandes nations qui en prennent les rênes ont de tels monstres à gérer qu’elles sont souvent tentées de mettre en place des régimes de plus en plus autoritaires puisqu’à tout moment ces univers peuvent éclater. Personne ne peut en prévoir le timing. Qu’est devenu l’empire romain ? Où sont donc finis les empires britannique et français ? Qui parle encore du Reich de mille ans de Hitler ? Et tout le monde se souvient de la chute brutale et rapide l’empire soviétique. Les jours de l’Empire d’Oncle Sam ne seraient-ils pas comptés ?

Pour prévenir ces risques de crise très actuels et préserver la démocratie il faut, entre autres, protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles et favoriser les échanges de ces différences, qui sont les forces porteuses de nos civilisations. Il faut savoir jouer la partition de L’hymne à la joie avec toutes les notes du clavier, et le piano seul ne suffit pas. Il faut y ajouter toute la diversité des instruments d’un orchestre symphonique pour diriger un véritable hymne à la joie mondial, ou global, si vous préférez.