Édito n°57, mars 2018 – Helvetico, allegro ma non troppo

Numéro 57 – Mars 2018

Il y a un demi-siècle, la Suisse était encore un oeillet à la boutonnière sur la carte de l’Europe. Mais depuis que s’est-il passé ? Ne reste-t-il aujourd’hui que le trou de la boutonnière ?

Y-a-t-il quelque chose de flétri au royaume de l’Helvétie ?

Le 25 janvier 1946, un séisme de magnitude 6,1 secouait toute la Suisse, causant quatre décès et endommageant 3500 bâtiments. Mais depuis, les séismes helvétiques qui se sont succédé ont, semble-t-il, changé de nature dans le paysage démocratique de notre pays. Ils ressemblent un peu à l’inventaire (1946) de Jacques Prévert…

« Une pierre deux maisons trois ruines quatre fossoyeurs un jardin des fleurs (…) un mois de marie une année terrible une minute de silence une seconde d’inattention et… cinq ou six ratons laveurs ».

…inventaire dans lequel il y eut quand même quelques bonnes nouvelles puisque, cette même année 1946, nous retournions par initiative populaire à un régime de démocratie directe. Même si nous ne chantons plus aujourd’hui « Ô mon indépendants » dont la première strophe est d’une belle envolée lyrique avec, il est vrai, une suite rude comme les pierriers de nos Alpes. Ce fut dans cette rudesse que nous avons lancé en 1970 l’initiative populaire dite « Schwarzenbach » contre l’emprise étrangère, initiative qu’au moment de voter nous eûmes la sagesse de rejeter. En 1971, après de nombreuses années de tergiversations, nous étions quand même arrivés à donner le droit de vote aux femmes de notre pays… et cela 52 ans après l’Autriche, 27 ans après la France et 26 ans après l’Italie. Mais, quinze années plus tard, en 1986, ce fut avec un Non massif que 81,9 % des votants et 20 cantons réagirent à l’initiative « En faveur de la Culture ». Prudence, prudence, méfiance, méfiance ! Le 6 décembre 1992, ce fut au tour d’une courte majorité de 50,3 % d’électeurs de refuser l’accord sur « l’Espace économique européen ». Notre pays, sans accès à la mer, réussit ainsi à devenir insulaire au milieu de l’Europe.

Le 13 mars 1994, dernière parution du quotidien La Suisse fondé en 1898 ; puis le 28 février 1998 ce fut au tour du Journal de Genève de disparaître, lui qui était édité depuis 1826. On les a regrettés, le temps d’une semaine. The show must go on ! Puis ce fut un Oui discret à l’adhésion à l’ONU en 2002. Quand même!

Lorsque le 2 octobre 2001, notre flotte bien-aimée de Swissair fut immobilisée au sol par manque de liquidité, presque personne ne bougea. On la laissa mourir. Tant pis pour le personnel… Et notre fierté?

Mais quand 7 ans plus tard, en octobre 2008, notre grande banque UBS fut au bord du gouffre financier, Confédération et Banque nationale réagirent au quart de tour en injectant 6 milliards. Là, il fallait absolument sauver la face et les fesses ! Sans attendre l’avis de la population, bien-sûr!

Dans notre sagesse, en 2012, nous avons accepté, par 87 % des voix, l’initiative populaire « Pour des jeux d’argent au service du bien commun ». Par contre en 2014, nous nous sommes laissé convaincre - même si à une très faible majorité - à adopter l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Et malheureusement cette musique n’a toujours pas fini de sonner faux!

2017, requiescat in pace pour L’Hebdo qui n’aura vécu hélas que 37 ans ! Suivi par la mort du secret bancaire pour les clients étrangers des banques suisses. Mais dans ce cas est-ce vraiment un mal aujourd’hui?

Au moment où paraîtra cette édition de CultureEnJeu, nous saurons si, le 4 mars, l’initiative « No Billag » pour la suppression de la redevance aura été rejetée. Et quel choix feront les votants le 10 juin prochain lors de la votation concernant « la loi sur les jeux d’argent » ? Espérons qu’ils sauront tenir compte qu’il peut y avoir des exceptions pour protéger un intérêt général supérieur à l’intérêt particulier. Oui, protéger un intérêt général supérieur à l’intérêt particulier.

Et dans cet inventaire helvétique, n’oublions surtout pas qu’il y aura quelque part toujours un Roger Federer et… « cinq ou six ratons laveurs ».