Journalisme : la diversité de l’information en péril

Numéro 27 – Septembre 2010

Il fait de moins en moins bon être journaliste dans certaines régions d’Europe. À Athènes, le commentateur Socratis Guiolias, 37 ans, a été assassiné devant son domicile, le 20 juillet dernier. En Calabre, onze journalistes ont reçu des menaces de mort depuis le début de l’année. Le dernier en date, Saverio Puccio, 35 ans, du Quotidiano della Calabria, venait de dénoncer les liens entre un politicien et des clans mafieux.

La Suisse n’a, heureusement, pas cette tradition violente, peut-être parce que sa démocratie active atténue les conflits. Voilà pourquoi il importe de ne pas se désintéresser des instruments – la presse est l’un d’eux – qui entretiennent ce régime politique. Mais comment faire pour ne pas céder aux effets de mode en matière de gouvernance économique, tels que ceux véhiculés dans les écoles de management, qui placent le matérialisme et le consumérisme au centre de l’idéologie dominante ? Faut-il s’étonner qu’à la chute du Mur, les pays sous la férule socialiste aient si vite viré leur cuti, jusqu’à devenir des clones zélés du capitalisme débridé ?

Surveiller la démocratie est autant une vocation qu’un métier. Démocrates dans l’âme, les Suisses en ont-ils pour autant suffisamment conscience ? Se rendent-ils compte des dangers qui menacent les fondements de leur État de droit ? La question est de mise au vu de l’absence de réaction qui a suivi certains événements médiatiques récents.

En mars 2009, Edipresse, géant de la presse romande, provoquait un tremblement de terre en annonçant son rachat par un bailli zurichois, le groupe Tamedia. Puis, en juin 2010, c’était au tour de l’éditeur français Hersant de mettre la main sur Le Nouvelliste au terme d’une pitoyable partie de cache-cache.

Les patrons des journaux privilégient la concentration au détriment de la qualité et de la diversité du paysage médiatique.

Bien sûr certains objecteront que l’on n’est plus au temps de la machine à écrire et du télex ; il n’est donc plus nécessaire de réunir tous les employés physiquement sous un même toit pour publier un journal. Ils feront aussi remarquer que la qualité du contenu n’est pas forcément pire qu’avant. Au contraire, les synergies et collaborations permettent une ouverture culturelle. Ils ont raison, mais le problème est ailleurs. Il résulte de la chute de la densité des journaux qu’entraîne inévitablement la concentration dans les mains de Tamedia ou de Hersant.

À l’heure actuelle déjà la tendance à l’uniformisation de l’information est flagrante. Entre Genève et Lausanne, les quotidiens d’Edipresse s’échangent depuis longtemps le contenu de certaines rubriques, comme la nationale ou l’économie. Chez Hersant, des plates-formes communes se mettent en place, qui aboutissent à livrer un contenu identique de Neuchâtel à Sion. Aujourd’hui des pages copiées-collées, demain des journaux en moins, qui sait ? L’exemple du passé est éloquent. Combien de titres n’ont-ils pas disparu dans le canton de Vaud après leur incorporation dans Edipresse ? Exit La Presse Riviera-Chablais, exit Le Nord vaudois.

Nombre de lecteurs ne se sont toujours pas remis de la perte de leur source d’information locale quotidienne. Pour punir le « coupable », ils ont résilié le « produit » de remplacement, en l’occurrence 24 Heures. N’allez pas dire après cela que la mort d’un journal ne signifie pas un recul de l’identité régionale.

Le constat est aussi amer sur le plan des agences de presse qui ont pour fonction de ventiler l’information en provenance du monde entier de la manière la plus neutre et objective possible. De ce fait, elles assument une fonction démocratique essentielle. Or, en janvier 2010, Associated Press coulait corps et biens, laissant le monopole à l’Agence télégraphique suisse, l’ATS. Un répit fragile pour cette dernière qui affronte un défi majeur : conserver les gros des abonnés à l’heure où Hersant menace de lui couper les vivres. Le groupe français – la belle illusion ! – pense recréer un réseau d’information en comptant sur ses propres forces. Est-ce parce que l’incompétence n’a d’égal que la mauvaise foi ? Toujours est-il que la pression sur l’ATS reflète un mépris total de la diversité helvétique.

Dopée par la mondialisation de l’économie et de la finance, la Bourse mène le bal et entraîne les grands groupes de médias dans son sillage. Prisonniers d’une logique qui les force à satisfaire les actionnaires et donc les rend dépendants de la publicité, les patrons des journaux privilégient la concentration au détriment de la qualité et de la diversité du paysage médiatique.

Une lueur, toutefois, dans ce ciel sombre vient d’Internet. Sur la toile, les modèles économiques s’affinent dans un savant mélange de publicité, d’abonnements, de sponsoring et de dons. Le jour où ces alliages seront au point, des quotidiens en ligne indépendants et de qualité deviendront viables. Et la diversité de l’information retrouvera ses lettres de noblesse.