Des loteries pour le bien commun

Numéro 40 – Décembre 2013

Le paysage des jeux d’argent a connu une évolution foudroyante dans notre pays dès le début de ce XXIe siècle. Jusqu’à l’aube de l’An 2000, les Loteries étaient quasiment les seules à proposer des jeux de hasard à la population. Il existait bien quelques kursaals dans des endroits touristiques, avec les mises limitées à cinq francs, ainsi que des machines à sous qui hantaient les couloirs d’établissements publics de certains cantons. L’adhésion au système des Loteries d’utilité publique était tacite, ces institutions remettant l’entier de leurs bénéfices à la collectivité à laquelle les joueurs appartiennent.

L’esprit et la finalité des jeux d’argent ont subi une véritable révolution avec la décision de la Confédération, alors fondée sur un programme d’économie, d’installer, dès 2001, un réseau de nouveaux casinos en Suisse. La mise en œuvre de cette politique a surpris par son ampleur – avec 21 maisons de jeux, la Suisse dispose d’une concentration extravagante de casinos au prorata de sa population – et par sa brutalité – tous les projets romands de casinos destinés à l’utilité publique ont arbitrairement été écartés au profit d’entreprises privées, internationales pour la plupart.

Dès le début de ce siècle est également apparu le phénomène d’Internet qui offre un vaste champ d’action à des opérateurs installés dans des endroits exotiques en regard des normes internationales, et leur permet d’inonder le monde avec tous les jeux d’argent imaginables, sans égard pour les règles éthiques, sociales ou fiscales des pays « exploités ». Des centaines de millions de francs d’enjeux s’envolent ainsi chaque année de notre pays vers les caisses de ces sociétés hors-sol qui narguent impunément les législations nationales.

Dans la foulée, des groupes commerciaux ou de presse exploitent les failles légales du système pour dévoyer le principe constitutionnel de l’utilité publique des loteries en exploitant des jeux-concours destinés à alimenter leur propre trésorerie.

Voilà le contexte dans lequel les deux Sociétés suisses de loteries d’intérêt public, dont la Loterie Romande, remplissent désormais leur mission.

Il faut aussi ajouter que la multiplication par deux ou trois de l’offre de jeux d’argent à la population s’accompagne d’une tendance forte de les privatiser le plus possible. Le projet de révision de la Loi fédérale sur les loteries et les paris, présenté en 2002 par le Conseil fédéral, prévoyait d’appliquer au domaine des loteries le modèle de concessions appliqué aux opérateurs de casinos. L’opposition déterminée des cantons et des milliers de bénéficiaires des loteries a alors été nécessaire pour aboutir au retrait momentané de ce projet.

Un acte politique fort : l’initiative populaire fédérale

Sans cesse contestées dans leur existence et leur mission, les Loteries créées par les cantons durant les années 1930 ne disposaient assurément pas de l’ancrage constitutionnel et légal pour subsister à terme. Face à la volonté hégémonique de l’administration fédérale, un acte politique fort devenait nécessaire pour assurer leur pérennité et permettre à leurs bénéficiaires des milieux culturels, sociaux et sportifs de s’assurer de leur soutien durable. Ainsi a été élaborée l’initiative populaire fédérale, sobrement intitulée « Pour des jeux d’argent au service du bien commun ». Ses deux objectifs essentiels ont rapidement été définis : il s’agissait d’inscrire dans la charte fondamentale le principe selon lequel les jeux d’argent organisés en Suisse doivent obéir à un but d’utilité publique et, d’autre part, d’ancrer dans la Constitution fédérale la compétence des cantons en matière de loteries. Ce dernier postulat constituait la condition de la survie institutionnelle de la Loterie Romande. L’initiative proposait en outre que les politiques de la Confédération et des cantons en matière de jeux d’argent soient concertées et que des mesures soient prises pour prévenir la dépendance au jeu.

La diversité et la richesse de l’offre culturelle romande sont étroitement liées aux performances de la Loterie Romande.

Le Comité d’initiative présentait la particularité d’être remarquablement représentatif de l’éventail social et culturel du pays. Des personnalités de toutes provenances géographiques et de toutes sensibilités politiques le composaient.

En 2009, paraphée par quelque 200’000 citoyennes et citoyens, l’initiative populaire a été déposée à la Chancellerie fédérale. Face à la détermination qu’elle représentait, le Conseil fédéral a choisi de la traiter en lui opposant un contre-projet direct sous la forme d’un nouvel article 106 de la Constitution fédérale consacré aux jeux d’argent. Ce dernier, directement inspiré de l’initiative, a été accepté par les deux Chambres, puis par le peuple qui l’a plébiscité le 11 mars 2012, à hauteur de 87% des votants.

Cette acceptation « soviétique » constitue, en réalité, une puissante manifestation en faveur des Loteries dévolues au bien commun. Les dispositions du nouvel article constitutionnel n’entreront cependant en vigueur qu’avec l’adoption de la nouvelle législation sur les jeux d’argent dont le projet est actuellement en préparation. La procédure de consultation à son sujet se déroulera durant le premier semestre de l’année 2014. Une nouvelle radiographie des forces en présence interviendra donc bientôt, car les interventions seront à n’en pas douter nombreuses qui voudront contourner ou accommoder le principe de l’utilité publique en faveur d’intérêts particuliers et mercantiles.

Un choix de société à confirmer

Pour que soient concrétisés les objectifs exprimés dans le nouvel art 106 de la Constitution fédérale, les Loteries suisses devront être dotées d’un cadre légal adapté à leur mission et à leurs responsabilités, un cadre qui permette leur constante modernisation et leur dynamisme entrepreneurial et commercial. La Suisse ne saurait brider ses Loteries d’utilité publique pour concéder les parts essentielles du marché des jeux d’argent à des opérateurs privés ou illégaux !

Depuis le début du XXIe siècle, les bénéfices de la Loterie Romande sont restés stables à près de 200 millions de francs annuellement, entièrement distribués aux institutions culturelles, sociales et sportives des six cantons romands. Sans un dynamisme reconnu et une recherche de compétitivité de tous les instants, ses résultats seraient en décroissance. C’est dire que la nouvelle loi devra permettre aux deux grandes Loteries suisses d’exploiter les jeux contemporains, intéressants et rentables, tels que des jeux transnationaux opérés avec d’autres Loteries européennes d’intérêt public, ainsi que des paris sportifs actuellement proposés par les seuls opérateurs illégaux, parce que non-conformes à la législation de 1923 qui régit encore ce secteur dans notre pays.

L’esprit et la finalité des jeux d’argent ont subi une véritable révolution avec la décision de la Confédération d’installer un réseau de nouveaux casinos en Suisse.

La diversité et la richesse de l’offre culturelle romande sont étroitement liées aux performances de la Loterie Romande. L’aide qu’elle distribue ne tombe cependant pas du ciel : elle émane des joueurs dont les enjeux perdus retournent ainsi à la collectivité. Mais personne n’est obligé de choisir les jeux de la Loterie Romande pour se divertir. Pour qu’elle puisse poursuivre sa mission, elle doit être efficace et attractive, faute de quoi l’offre de jeux de la concurrence légale et illégale prévaudra.

Les milieux associatifs et politiques soucieux du dynamisme culturel, social et sportif romand seront donc invités, dès le début de l’année 2014, à participer à la procédure de consultation relative au projet de loi sur les jeux d’argent. Ils pourront préconiser, sans arrière-pensée, la solution la plus dynamique pour l’avenir des loteries en Suisse. Au-delà des bénéfices qu’elles distribuent intégralement, elles sont les plus soucieuses de prévenir le jeu excessif et les plus responsables face aux questions de société. Leurs relations étroites et permanentes avec les cantons qui les autorisent garantissent proximité démocratique et transparence de leurs activités. De toutes les sociétés offrant des jeux d’argent, elles sont les plus proches de la population.

Des groupes commerciaux ou de presse exploitent les failles légales du système pour dévoyer le principe constitutionnel de l’utilité publique des loteries.

D’ici quelques mois, un débat politique récurrent va donc à nouveau s’ouvrir. Son issue sera déterminante pour les Loteries dévolues au bien commun et pour leurs milliers de bénéficiaires. Puissent leurs porte-paroles, avec les élus et les politiciens qui les entourent, distinguer le bon grain de l’ivraie !