Mara, Emily & le détective Hawkins

Numéro 42 – Juin 2014

Certains se souviennent du Festival de la BD de Sierre qui était à l’épo­que le plus important festival BD d’Europe après celui d’Angoulême. En 2003, lors de sa dernière édition, Margaux Kindhauser, jeune dessinatrice, genevoise à l’époque, lausannoise aujourd’hui, s’y promenait avec son book sous le bras, fouinant entre les stands à la recherche d’un éditeur qui pourrait s’intéresser à sa production. De festival en festival, avec un portfolio qui s’amplifiait et s’enrichissait peu à peu, la rencontre inespérée a lieu à Angoulême en 2005. Les éditions Akileos apprécient son dessin et ses personnages dans lesquels ils devinent du caractère et des promesses. Ils lui proposent de la suivre et de la conseiller pour améliorer sa production. Deux ans plus tard, après bien des échanges et beaucoup de travail, celle qui a toujours dessiné depuis son plus jeune âge et qui rêvait devenir un jour auteur de BD, signe son premier contrat. C’est sous le nom de Mara que paraît Sur les traces du passé, le premier volume de la série Clues (Indices en français) dont sont déjà actuellement sortis les tomes 2 (Dans l’ombre de l’ennemi) et 3 (Cicatrices). Le prochain À la croisée des chemins est attendu pour avril 2015.

L’histoire d’Emily et du détective Hawkins se passe en 1898 en pleine époque victorienne dans une Londres sévère et noire. Comment êtes-vous arrivée à la BD et comment avez-vous abouti dans cet univers policier ?
Depuis toute petite, je me racontais des histoires à moi-même. J’aimais les polars et la lecture des enquêtes de Sherlock Holmes m’a accompagnée pendant longtemps. Enfant, je passais des heures à copier ou à imiter les dessins de Disney. J’ai toujours gribouillé. À l’école, j’étais « celle qui dessinait très bien ». Mais ce n’est qu’à l’âge de 18 ans, à la suite de ma rencontre avec la dessinatrice genevoise Valentine Pasche (alias Valp, auteur de Lock et de Ashrel), dans le magasin de BD où je travaillais pendant l’été, que j’ai décidé de me lancer. Comme le cinéma m’a toujours plu et particulièrement le cinéma d’animation, je me suis rendu compte que dans l’univers de la BD j’allais pouvoir garder et retrouver régulièrement mes trois passions : l’acte de dessiner des histoires à raconter avec des textes et des images, en couleur sur des planches aux nombreuses cases. Et puis me plonger dans la Londres de l’époque victorienne avec ses codes, son architecture, ses transports publics, ses habitudes vestimentaires, ses personnages à la Dickens proches de Jack l’éventreur, c’était vraiment passionnant. Je me suis beaucoup documentée sur cette période, entre autres, à travers les publications de la collection Dover contenant de nombreuses gravures et photos de l’époque.

Qu’est-ce que vous avez présenté à l’éditeur parisien Akileos pour le convaincre de vous prendre dans son écurie ?
J’avais le dessin de la couverture de la BD ainsi que 3 ou 4 planches, faites à l’aquarelle et à l’ordinateur, présentant les personnages et leur caractère. Un synopsis complétait le dossier. Ce n’est pas facile de convaincre un éditeur avec seulement trois planches qui doivent exposer une bonne narration, exprimer la force du dessin et donner une idée de l’originalité de la composition des images.

Vous êtes à la fois scénariste, dessinatrice et coloriste. Comment affronter et maîtriser à la fois ces trois domaines si différents ?
Travailler sur une BD, c’est un challenge qui permet de tout faire, mais sans négliger bien-sûr l’aide et les conseils précieux d’amis quand on a des blocages. La BD c’est un peu comme du cinéma : un scénario, des décors, des personnages et de la couleur. Sortir un album tous les 18 mois, c’est un travail long qui demande de la patience. Pour ma première BD, j’ai dû refaire trois fois le story-board.

J’aime raconter des histoires avec des personnages tourmentés et impossibles, style pirates, qui n’ont peur de rien. J’écris d’abord le scénario, calculant combien de planches il me faudra pour chaque scène. Ensuite, je commence à dessiner au crayon, scène par scène, en esquissant de nombreux croquis jusqu’à trouver le ton juste. Puis je passe à l’aquarelle pour la couleur que je complète avec la tablette graphique de mon ordinateur. Travailler à l’aquarelle est assez nouveau pour moi, mais j’adore son rendu beaucoup plus subtil que le résultat froid du numérique. Le mélange des deux me donne l’atmosphère que je recherche. Je travaille en général plutôt le soir et surtout la nuit. J’adore être toute seule aux commandes de la BD qui prend forme petit à petit.

En Suisse, peut-on vivre de son travail de bédéiste ?
Ce n’est pas évident ! Au début, à Genève, je partageais mon temps entre un magasin de tabac où je travaillais seize heures par semaine, l’université et ma table à dessin. Pendant ces cinq dernières années, entre mes BD, des commandes d’illustrations et quelques planches ou croquis qu’on m’achetait parfois, j’ai pu enfin vivre de mes dessins. J’en étais très contente, même si je ne roulais pas sur l’or. Par contre, les commandes, qui représentaient le 70 % de mon temps de travail, me prenaient beaucoup plus de temps que prévu et ne m’assuraient pas toujours des rentrées fixes car les commanditaires tardaient souvent à honorer leur dette. C’est pourquoi je suis très reconnaissante à Lorenzo Pioletti de m’avoir engagée, il y a six mois, dans sa libraire Raspoutine de Lausanne. Aujourd’hui, j’y travaille trois jours par semaine, ce qui me permet de rester dans l’univers de la BD tout en pouvant consacrer les quatre autres jours restants à ma propre création. Un luxe que je savoure.

Après la sortie du quatrième volume de Clues, quelle nouvelle histoire nous réservez-vous ?
Un conte cruel entre une petite gamine et un gros loup. Mais laissez-moi d’abord finir le quatrième tome de Clues.