Des artistes au service de la cité

Numéro 8_9 – Janvier 2006

Dans sa récente loi sur la promotion de la culture, le canton du Valais place en tête de liste l’aide à la création. A Sion, l’Association de la Ferme-Asile œuvre, depuis plus de douze ans, à la construction d’un centre artistique et culturel pluridisciplinaire qui pourrait devenir l’outil idéal de cette politique. Malgré un autofinancement de plus de 40 %, l’équipe en charge de la Ferme-Asile ne peut assumer, à elle seule, la finalisation du projet : la rénovation de la Grange dont les travaux exigent un investissement de l’ordre d’un million de francs. Enjeu crucial car, faute de moyens adéquats, pourrait disparaître la perspective d’un espace voué à la création professionnelle en Valais. Laurent Possa, plasticien et président de l’Association de la FermeAsile, répond à CultureEnJeu.

Bientôt l’anniversaire de votre association ! Raconte-nous la Ferme-Asile...

Il faut en chercher l’origine il y a quarante ans. Un président de commune des plus ouverts à la chose artistique, Félix Carruzzo, avait donné le feu vert à la construction d’un lieu d’artistes plasticiens conçu par le sculpteur Angel Duarte. La seule condition était qu’Angel en prenne la direction. Le sculpteur ne put se résoudre à mettre en veilleuse son travail artistique et le dossier finit au fond d’un tiroir. Trente ans plus tard, un petit groupe d’artistes dont, bien sûr, Angel Duarte, reprenait ce projet pour l’appliquer à une ferme déshéritée appartenant à la Fondation de l’Hôpital-Asile, une institution régionale à but social, gérée conjointement par la Ville et la Bourgeoisie de Sion. Evolution notoire : aujourd’hui le projet de la Ferme-Asile se voudrait pluridisciplinaire. Pas moins de quinze plasticiens travaillent au quotidien à la Ferme. S’y ajoute un artiste en résidence chaque six mois.

Quels sont les enjeux de votre projet ?

Sur le plan artistique, il est d’une nécessité indiscutable. Les créateurs peuvent bénéficier d’un endroit où travailler et dialoguer avec d’autres disciplines et entre générations d’artistes. Les gens de théâtre, par exemple, ont besoin d’espace. Ici, il y a une Grange de 800 mètres carrés que, faute d’une isolation ad hoc, nous n’utilisons que six mois durant – c’est un frigo en hiver et un four en été. Elle serait un outil fabuleux pour la création ; d’autant plus qu’en Valais, il n’y a rien qui puisse héberger des compagnies de théâtre pour trois à quatre mois. Et ce ne sont pas les demandes qui manquent. D’ores et déjà, nous offrons, avec peu de moyens et nos énergies, un restaurant, un petit café-concert, des ateliers pour artistes plasticiens et une quantité d’événements, comme les expositions, cafés philo, soirées de contes, ateliers de dessin académique, etc. Il faut noter que nous avons réussi à faire vivre le lieu avec des matériaux de récupération et grâce à notre bénévolat intensif ; sans cela, une construction à neuf aurait été une opération infiniment plus coûteuse que ce nous proposons.

Comment se présente la situation actuellement ?

Après douze ans, nous sommes à la fois plus forts et plus fragiles que jamais. Notre travail est entièrement bénévole et la bonne volonté a ses limites. Les conséquences de notre engagement sont notamment qu’on arrête de pratiquer son art pendant ce temps. On ne peut continuer de cette façon indéfiniment. Pour la relève, on a de l’espoir, car on voit des générations jeunes désireuses de mettre sur pied des projets artistiques que nous-mêmes n’avons pas eu le temps de mener. C’est encourageant.

La société a besoin de lieux de création pour se construire

Quels seraient vos besoins ?

Actuellement, nous pensons avoir rempli largement notre part du contrat : au départ, la Ville de Sion a accepté de mettre cette ferme déshéritée a notre disposition. En contrepartie nous devions transformer, gérer et animer ce lieu pour en faire un centre artistique et culturel. Ceci étant fait, il reste, pour parachever le projet et lui donner toute son efficience, à isoler la Grange, la doter d’un chauffage et d’un minimum d’équipements. Ces améliorations permettront une exploitation durant toute l’année et ouvriront enfin la porte aux artistes qui sont en manque d’un lieu de création. La deuxième nécessité vitale pour assurer la viabilité et la pérennité du projet serait que la Ville assume un budget de fonctionnement qui corresponde à nos besoins réels. En ce qui concerne toutes les activités artistiques, il est prévu de manière contractuelle que les artistes offrent bénévolement leurs compétences. Cette exigence constitue une condition d’attribution des ateliers. Sur le plan financier, tout cela est jouable à condition que les différentes institutions qui nous soutiennent acceptent de se mettre en partenariat pour que ce lieu de création original puisse fonctionner en plein et rayonner sur la ville et la région.

Pas moins de quinze plasticiens travaillent au quotidien à la Ferme-Asile

Qu’attendez-vous des politiques ?

Nous posons le positif, notre motivation à continuer, et le négatif, notre crainte que tout s’arrête parce qu’il y a un problème de survie. La priorité actuelle est de transmettre à la Ville un projet parfaitement ficelé, viable et qui puisse bénéficier autant à la population qu’aux artistes. Mais sans la Grange, le jeu n’en vaut pas la chandelle et nous attendons une volonté politique de parachever ce projet au potentiel considérable. Pour l’instant, nous voulons nous accorder le plaisir de fêter dignement les 10 ans de l’Association FermeAsile au printemps prochain.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Ce qui nous préoccupe, c’est la fonction de l’art dans la société et le rôle essentiel qu’il joue au niveau identitaire. L’art est constitutif de ce que nous sommes, de ce qu’est notre société, de ce que vont vivre nos enfants. Qui entre en contact avec la créativité et ce qu’elle implique voit s’ouvrir devant soi des voies, des forces, des questionnements qui vont se répercuter dans sa vie... même en dehors de l’artistique. Il y a une place pour le boulanger dans la société. Pour l’artiste qui y joue un rôle fondamental, le politique doit aménager un espace. La société a besoin de lieux de création pour se construire.