Le jeu de la vérité – Les clichés au jeu de massacre

Numéro 8_9 – Janvier 2006

Le cinéma suisse romand est quantité négligeable. Vrai ou faux ?

Vrai

pour la diffusion en salles. Avec 50’000 spectateurs de cinéma par an en moyenne, soit moins de 1% de part de marché, comment exister aux yeux du public ? Mais il y a tout de même plus d’un million de téléspectateurs romands par an.

Faux

pour la production. Les films suisses romands ont une importance sans commune mesure avec leur bassin de population, qui correspond à la taille d’une toute petite région française.
Le cinéma suisse romand, c’est en moyenne chaque année (entre 2000 et 2004) :

  • de 8 à 9 longs métrages de fiction ;
  • 21 longs métrages documentaires de cinéma (4 à 5) et de télévision (16 à 17) ;
  • 22 courts métrages.

Par comparaison, les Italiens et les Français produisent chacun environ 100 longs métrages par an, qui représentent 20 % (Italie) à 35 % (France) de leur propre marché. Avec moins de 10 films par an, comment les réalisateurs romands pourraient-ils conquérir 10 % de part de marché, au-dessous desquels aucune cinématographie nationale ne peut exister aux yeux de son propre public ? Avec un si bas nombre de films, atteindre le seuil de 5 % serait déjà un exploit.

Les cinéastes suisses sont d’éternels assistés. Vrai ou faux ?

Faux

Tous les projets de films suisses se retrouvent en forte concurrence les uns contre les autres lors d’un concours de projets qui a lieu quatre fois par an. Personne n’a l’assurance d’obtenir l’aide sélective de l’Office fédéral de la culture (OFC), qui est décisive pour lancer un projet, même si l’aide automatique de Succès Cinéma commence effectivement à fonctionner dans de cas rares, pour certains gros succès (surtout alémaniques). Notons qu’un film documentaire sur quatre destiné au cinéma n’est soutenu ni par la Confédération ni par la Télévision suisse romande (TSR) !
Chaque film suisse qui trouve le chemin d’une salle de cinéma doit affronter la concurrence mondiale la plus vive. Dans l’ensemble, les producteurs romands se « mouillent » plus que l’OFC : ils ont investi 21 %, soit 16,5 millions de francs de fonds propres en cinq ans, soit plus que la Confédération ellemême (14,9 millions, 19 %) sur la part de financement suisse.

Le financement des films provient en majorité de la Confédération. Vrai ou faux ?

Faux

L’OFC ne soutient en moyenne que 19 % du financement de la part suisse des films romands en général (et 13,5 % de leur financement international !). Même pour les films soutenus par l’OFC, la part de la Confédération au financement n’est que de 35 % dans la fiction de cinéma et de 29 % dans le documentaire de cinéma, soit bien au-dessous de la barre du maximum réglementaire de 50 %.

Les films suisses romands sont majoritairement financés en Suisse. Vrai ou faux ?

Vrai

pour la fiction, dont le financement majoritaire est suisse à 54%. Encore plus vrai pour le documentaire, dont le financement est suisse à 83%.

La Confédération joue un rôle décisif pour le documentaire romand. Vrai ou faux ?

Faux

La TSR et la région romande (soit le Fonds Regio Films, avec la Loterie Romande, les cantons et les villes) sont les principaux piliers du documentaire romand. L’OFC ne vient qu’en quatrième position dans le financement de la part suisse de l’ensemble des documentaires romands cinéma et télévision (la TSR en tête avec 32% de la part suisse, la région romande avec 24%, les producteurs avec 20% de fonds propres, et enfin l’OFC avec seulement 14%).

Il est possible que plusieurs documentaires romands destinés aux salles de cinéma ne soient paradoxalement pas soutenus par la Confédération, mais uniquement par la télévision. Vrai ou faux ?

Vrai

Sur 23 documentaires de cinéma entre 2000 et 2004, 6 films ont été soutenus par la TSR sans participation de l’OFC. D’ailleurs, en général, la TSR apporte 25% du financement de la part suisse de cette catégorie documentaire de cinéma, un peu plus que l’OFC avec ses 22%. Même la région romande, avec 23%, passe devant l’OFC dans cette catégorie de moins en moins bien soutenue par la Confédération, alors que, selon la loi, ce devrait être, avec la fiction cinéma, le domaine de prédilection de la Confédération.

Les documentaires télévisés sont financés majoritairement par la TSR. Vrai ou faux ?

Faux

La TSR ne finance qu’un peu plus du tiers (35%) de la part suisse des documentaires destinés en priorité à la télévision. L’essentiel du financement de ces films est apporté directement ou indirectement par les cinéastes romands euxmêmes, c’est-à-dire par la région romande et les fonds propres des producteurs, qui couvrent à eux seuls à parité plus de la moitié du financement des documentaires TV. Dans le domaine du documentaire télévisuel, le rôle de l’OFC est encore plus marginal : nettement moins de 10% du financement de la part suisse.

Le téléfilm de fiction est peu soutenu par la région. Vrai ou faux ?

Vrai

La TSR produit 2 à 3 téléfilms de fiction chaque année, dont 2 sont soutenus par l’OFC. Le 60 % du financement de la part suisse est assuré par la TSR (qui fait généralement le relais avec la part étrangère, française en l’occurrence – ces films sont suisses à 75%). La région n’assure que 8% du financement de la part suisse (soutien automatique par le Fonds Regio Films).

Les flux financiers entre cinéma et télévision réglés par le Pacte de l’audiovisuel sont équilibrés. Vrai ou faux ?

Faux

Et c’est une grosse surprise. En cinq ans, la TSR a investi 8,6 millions de francs dans la production romande destinée au cinéma. En échange, la Confédération a accordé à la production télévisée 4,2 millions de subventions, la région romande a investi 6 millions et les autres sources (fonds propres des producteurs, fondations, etc.) 9,2 millions, soit un total de 19,5 millions investis dans la production télévisée par d’autres sources que la télévision elle-même. Le mythe d’une télévision qui se « sacrifie » pour le cinéma romand au nom du Pacte de l’audiovisuel n’est donc pas justifié. La télévision sort nettement bénéficiaire des échanges du Pacte de l’audiovisuel, puisqu’elle « reçoit » pour des productions indépendantes adaptées aux besoins de ses programmes plus du double de ce qu’elle « accorde » aux productions destinées au cinéma. (Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’en « sauvant » certains films de cinéma, elle atténue ce transfert de manière non négligeable – voir le point suivant).

La relève est soutenue en priorité par la région romande. Vrai ou faux ?

Vrai

La région arrive en tête dans le financement des courts métrages (31 %), à égalité avec les producteurs, loin devant l’OFC (17 %) et la TSR (14 %).

La région romande est éclipsée par la région zurichoise. Vrai ou faux ?

Vrai

Il y a un double déséquilibre des tailles de marchés (le marché alémanique est 2 à 3 fois plus grand que le marche romand), des parts de marché (le cinéma suisse occupe 3 à 5 % de ce marché contre moins de 1 % du marché romand), ainsi que du « facteur de protection culturel » que représente le dialecte alémanique. Les Alémaniques accordent une certaine préférence aux films en dialecte par rapport aux films provenant du marché allemand, ce qui constitue une petite « niche » sur le marché qui n’existe évidemment pas en Suisse romande (mais bien au Tessin, quoique de manière plus discrète). Ces raisons ont été invoquées auprès de Pascal Couchepin pour plaider l’introduction de mécanismes correcteurs, dont l’ébauche est RegioDistrib (voir en page 7 article « Fonds Regio Films Notre cinéma commence en région ! »).

Faux

Avec la Loterie Romande, les Romands disposent d’une source d’aide intercantonale que les Alémaniques n’ont pas. Paradoxe : depuis peu, Zurich est mieux soutenu par le canton, la Ville et Swisslos que le cinéma romand ne l’a été jusqu’ici par la Loterie Romande et les cantons romands (voir en pages 16-17 l’article « Zurich pour le film Une longue marche »).

Dans le domaine de la sélection des films règne le copinage. Vrai ou faux ?

La sélection artistique est un domaine éminemment subjectif, où les réseaux d’influences et d’amitiés jouent inévitablement leur rôle, sans qu’en Suisse personne n’ait osé se plaindre ouvertement de pratiques litigieuses. Si les cinéastes sont rituellement invités à s’améliorer, il est plus rare d’entendre la Section du cinéma de l’OFC reconnaître qu’elle ne détient pas forcément le meilleur des systèmes de sélection possible. Cela semble être le cas avec l’arrivée de Nicolas Bideau, qui prépare un nouveau système à plusieurs étages, conscient de certains défauts de l’actuel.

Le cinéma et la télévision se confondent de plus en plus. Vrai ou faux ?

Vrai

Il y a un double rapprochement. Dans un sens, le cinéma rejoint de plus en plus la télévision par une exploitation resserrée dans le temps, jusqu’à une diffusion simultanée dans le monde entier (comme la TV qui diffuse une œuvre à tous au même instant). D’autre part, la télévision tend à rejoindre le cinéma par son mode de diffusion technologique, qui s’approche du grand écran par la taille et la qualité de l’image LCD / plasma / home vidéo et demain la diffusion en haute définition... Mais tous deux (cinéma et télévision) sont déjà sévèrement dépassés par les événements... Une troisième forme de consommation des films bouleverse toutes les données économiques : le DVD, avant l’avènement de la quatrième, plus redoutable encore dans ses conséquences économiques : la diffusion en ligne/ téléchargement.

La collision entre la fiction et le documentaire va tuer le documentaire. Vrai ou faux ?

Vrai

pour une grande part. Si l’engouement pour le « docufiction » sur les chaînes de télévision n’était considéré que comme une simple mutation de la fiction vers un domaine historique, il n’y aurait qu’à applaudir un « nouveau » genre qui présente bien des atouts. Mais est-il si nouveau ? N’est-ce pas Orson Welles qui a inventé le « docu-fiction » en 1940, avec « Citizen Kane », cette biographie à peine fictive d’un personnage réel, truffée d’actualités reconstituées ? Malheureusement, le « docu-fiction » étant considéré abusivement comme faisant partie du documentaire, il y a un grave risque de le voir phagocyter toutes les cases de programmation et de financement (car il coûte dix fois plus cher que le documentaire) qui étaient réservées à un genre qui, pour faire nettement moins d’audience grand public, se doit de pouvoir mener à bien une mission beaucoup moins prévisible, moins consensuelle, bref plus pointue.
Les quelques succès internationaux qu’ont connus certains documentaires ces dernières années (Michael Moore, Nicolas Philibert) n’ont pas que des avantages pour le genre : s’ils lui ouvrent plus facilement l’accès de certaines salles de cinéma, ils font oublier que la plupart des « bons » documentaires d’auteur ne sont pas faits pour s’inscrire dans la grande machine de promotion qui permet de lancer un blockbuster. Qu’ils ne peuvent fonctionner sur le mode du scandale, qu’ils ont besoin du bouche à oreille et donc de temps et d’attention. Des soins qu’on ne donne plus guère de nos jours.