Zurich pour le film : une longue marche

Numéro 8_9 – Janvier 2006

Forte d’une longue tradition historique, Zurich est un peu la capitale du cinéma suisse. En septembre 2004, les électrices et électeurs acceptaient l’augmentation du crédit communal alloué au cinéma. Une décision qui renforcera probablement Zurich dans son rôle de cœur de la production helvétique. Et si les cantons romands en prenaient de la graine, dans l’intérêt de toute la Suisse ?

Pendant longtemps, la Ville de Zurich a octroyé à son cinéma une subvention annuelle de 700’000 francs. Une paille, comme le faisait remarquer Peter-Christian Fueter, président de l’Association Zurich pour le film en 2003, alors que la campagne pour l’augmentation des subventions démarrait à peine. « Aujourd’hui en Europe, disaitil aux 35 parlementaires venus visiter son studio de Glattfelden dans lequel se tourne entre autres le feuilleton ‹Lüthi et Blanc›, il faut 4 à 6 millions pour faire un film de fiction modeste – calculez vous-mêmes où on va avec les subventions actuelles. » Et Peter-Christian Fueter citait en exemple un pays auquel il pense souvent : le Danemark. Grâce aux 70 millions d’euros que lui alloue l’État, le cinéma danois produit bon an mal an un nombre de films respectable, dont une bonne portion arrive dans les salles du monde entier, et a du succès.

En emplois créés, le cinéma restitue à l’État bien plus que l’État ne lui donne

Et les promoteurs de l’initiative Zürich für den Film (Zurich pour le film) martèlent sans se lasser une vérité trop souvent oubliée : « Chaque franc de subvention génère un franc supplémentaire qui sera injecté dans l’économie et profitera à toute la communauté. »

Des coups de pouce qui rapportent

Le calcul a été fait : en emplois créés (et économies de caisse-chômage), impôts, TVA, le cinéma restitue à l’État bien plus que l’État ne lui donne. Contrairement à une idée reçue, les subventions au cinéma (même allouées à fonds perdu) ne sont pas une aumône aux artistes : ce sont les coups de pouce qui feront partir une production, qui rapportera ensuite aux caisses publiques plus qu’elle n’a coûté même sans tenir compte du succès possible en salles ou à la TV.

Cela est valable pour tout le cinéma suisse. Mais les Zurichois ont su le faire comprendre à leurs concitoyens, et en septembre 2004, les électeurs ont octroyé au cinéma une augmentation importante du crédit communal, qui sera dorénavant de 3 millions par an. Ces trois millions sont venus s’ajouter au crédit cantonal de 4,5 millions par an. Zurich alloue ainsi désormais à la production cantonale 7,5 millions par année.

Quelques-uns des films suisses qui ont eu le plus de succès ces douze derniers mois viennent de Zurich et ont bénéficié de l’aide de la Fondation zurichoise pour le cinéma

Cela aura sans aucun doute un effet considérable sur la production zurichoise, en stimulant les synergies. Historiquement, on peut dire que Zurich est un peu la capitale du cinéma suisse : le cinéma s’est fait partout dans notre pays, mais Zurich a, dès la fin des années 1930, disposé de studios d’importance européenne. La guerre a accentué la tendance. Des réalisateurs comme Lindtberg ont choisi Zurich. Ils étaient de langue allemande, et Zurich leur convenait mieux que Genève. Et puis il y avait à Zurich le Schauspielhaus, et tous ces gens – réalisateurs, techniciens, comédiens surtout – tournaient autour de ce théâtre, qui de petite scène de province était devenu LE théâtre où pouvaient s’exprimer les Allemands et les Autrichiens antinazis qui avaient fui leur pays. Tous les grands films des années 1940 (« Lettres d’amour volées », « Meurtre à l’asyle » [Matto regiert], etc.) sont liés au Schauspielhaus au moins par les acteurs qui ont joué les rôles principaux.

Et tout au long des années entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’époque présente, les cinéastes zurichois ont produit des films d’une richesse de contenus et d’une variété dont on n’a pas toujours conscience en Suisse romande, mais qui sont étonnantes.

Dans l’intérêt de tous

Tout cela montre bien que l’accroissement de la subvention n’est pas venu de rien. Zurich a une longue tradition, de « Gilberte de Courgenay » (1941, les millions d’entrées qu’a fait ce film ne se comptent plus) à « Mein Name ist Eugen » (2005, plus de 500’000 entrées en trois mois) en passant par « Marie-Louise la petite Française » ou « Les faiseurs de Suisses », vus dans le monde entier ; pour le Zurichois moyen, le cinéma made in Zurich est une idée bien ancrée. Et l’ancrage est sans commune mesure avec celui dont jouit, en dépit de ses titres prestigieux, le cinéma romand en Suisse romande. Cet état de fait a une autre conséquence : l’importance accrue des subventions allouées à la production va créer une dynamique, et ce centre du cinéma suisse qu’est depuis longtemps Zurich va devenir encore plus le cœur de la production helvétique.

Le remède ? Il serait simple : il suffirait que les cantons romands imitent Zurich et comprennent l’intérêt du cinéma suisse POUR LE PAYS TOUT ENTIER. Cet intérêt peut être vu à plusieurs niveaux. Il est, nous l’avons dit, économique. Mais il est aussi culturel, non seulement en Suisse même, mais aussi ailleurs dans le monde. Et ici, l’intérêt économico-culturel se double d’un intérêt politique : le Département des affaires étrangères de Mme Calmy-Rey l’a bien compris, qui soutient activement les films suisses dans le monde.