« Le bilinguisme ouvre aux musicalités et à la richesse des langues »

Numéro 13 – Mars 2007

Comédienne et metteure en scène, la Neuchâteloise Dominique Bourquin a fondé, à Berne, le Théâtre pour le moment (TPLM). Entre 1981 et 2004, cette troupe permanente, bilingue, itinérante et professionnelle a tourné en Suisse et ailleurs, faisant fi des frontières entre les langues. Retour sur une expérience rare.

Le bilinguisme de l’équipe du Théâtre pour le moment (TPLM) a-t-il en quelque sorte influencé votre démarche ?

C’était une recherche de la coexistence des langues, la cohabitation non seulement de deux langues, mais de trois. L’allemand, le suisse allemand et le français. C’était évident, parce que cela correspondait à ce que nous étions. Notre travail rendait compte de notre réalité. C’était une ouverture d’une manière ou d’une autre sur les musicalités des langues, de leurs particularités et de leurs richesses. On cherchait le sensible qui permet la compréhension. C’était un souci constant de mettre en marche un autre moteur de compréhension que celui qu’on a l’habitude d’utiliser.Symboliquement, c’était aussi prendre en compte ce que nous étions. Le bilinguisme nous poussait. Un écrivain bernois, Francesco Miceli, avait écrit un texte en français et en suisse allemand pour nous. Une autre fois, nous avons engagé un metteur en scène indonésien pour monter un texte de Ramuz. Nous avons beaucoup tourné en Suisse, mais aussi ailleurs. Nous avons eu une belle histoire. Et une reconnaissance non seulement nationale, mais aussi internationale. Le fait de ne pas être enfermé dans une langue nous permettait de tourner plus facilement.

Comment est née l’aventure originale du Théâtre pour le moment ?

J’ai fréquenté une École Totales Theater de Yolanda Rodio à Lutzenfeld, en même temps que Philippe Vuilleumier[1]. Ensuite, pendant deux ans et demi, j’ai été au Théâtre populaire romand où on apprenait tous les aspects de la vie théâtrale. Et plus tard à Berne, avec un groupe d’amis artistes, on partageait le rêve de fonder une troupe. C’était pour nous le moyen le plus complet, le plus généreux de faire du théâtre. En 1981, nous avons créé le Théâtre pour le moment. C’était un fonctionnement collectif où je faisais de la mise en scène. Nous étions une troupe bilingue d’acteurs suisses allemands et suisses romands. Nous étions une troupe permanente bilingue itinérante professionnelle.

Fonder une troupe, c’était le moyen le plus généreux de faire du théâtre

Je me souviens que pour le premier spectacle, la Ville de Berne nous avait donné 5’000 francs. Le Théâtre pour le moment a duré vingt ans avec des subventions et le contrat de confiance accordé par la Ville de Berne. On vivait avec de très petits moyens. Puis, pendant une période de trois ans, nous n’avions plus de subventions. Pour nous, c’était le premier accroc au contrat de permanence.

Le fait est assez rare pour le souligner : quel a été le bénéfice de cette activité théâtrale permanente ?

C’était l’avantage de travailler longtemps sur chaque spectacle. On pouvait travailler une année pour monter un spectacle. On cherchait. C’était à chaque fois une recherche formelle. Ce n’était pas du théâtre classique. Cette continuité nous donnait aussi le privilège de travailler tous les jours, autant du point de vue du maintien de notre instrument de comédiens que des autres pratiques. Elle nous a permis de toucher, un peu comme au TPR, à tous les métiers du spectacle. Chacun de nous avait plusieurs fonctions et s’occupait des différents aspects de la gestion de la troupe.


[#1] Comédien, l’un des fondateurs du TPLM